Cette jeunesse nostalgique de son futur.

Difficile de penser objectivement à sa propre jeunesse.

La mémoire est sélective, trompeuse, soit qu’elle nous impute des mérites que nous n’avons pas vraiment eus, soit qu’elle mette sur le dos des autres des responsabilités que nous ne désirons pas assumer. Elle peut aussi être abusée par la façon dont les autres nous racontent notre propre jeunesse.

Au diable donc l’objectivité, reste l’émotion.

La jeunesse est plus marquée par ses ambitions que par sa réalité. Ce sont elles, les ambitions, qui, bien plus tard, en se mêlant au vécu vrai vont probablement le distordre.

En ce qui me concerne, dans ma jeunesse seule comptait pour moi la route vers la quête de l’absolu et de l’infini. J’imaginais, sans en avoir la certitude, qu’elle était la voie royale vers le doute, donc vers l’humanité.

Je croyais pouvoir emprunter cette route seul, sans l’aide de personne.

Je n’ai pas connu le résultat car j’ai été distrait sur le chemin par ma passion du rire et mon amour pour les jouets. J’ai donc échoué.

Je n’ai pas perçu que les autres pouvaient être une entrave et, franchement, ils ne l’ont pas été jusqu’à ce jour funeste où les services fiscaux se sont acharnés à détruire le peu que j’avais construit. Nous y reviendrons.

A cette époque, il me semblait que la majorité de mes contemporains partageaient mes ambitions, que tous voguaient vers les mêmes buts : la libre entreprise, le progrès, l’ouverture vers les autres, l’égalité et la diversité des hommes, le profit, le respect du consommateur.

Il y avait bien les adorateurs du communisme, mais ils paraissaient marginaux. L’épouvantail russe les décrédibilisait totalement, sauf à être un croyant dogmatique.

Bref, le socialisme paraissait ne pas exister, il ne s’était pas relevé de la guerre qu’il avait si piteusement perdue, pas plus que la droite dure qui n’est que sa mouture extrême.

La pensée politique se résumait à la tolérance, la politique elle-même n’impressionnait personne, nul n’en attendait une ligne de conduite pour sa propre vie.

Voilà donc ce qui reste de mes émotions de jeunesse : L’absolu et l’infini paraissaient accessibles en tout. Ce sont eux que j’ai cru voir déclencher les évènements de 1968.

Tant est si bien qu’à cette époque, lorsqu’alors Mitterrand déclama à la télévision qu’il était prêt à prendre le pouvoir, ce fût un éclat de rire général, dont il mit plus de dix ans à se remettre.

Il est probable, qu’envahi par mes rêves, je faisais une très mauvaise analyse de la réalité de la situation. Ou qu’alors, par une de ces cabrioles incroyables de l’histoire, l’émotion collective a accouché d’une situation parfaitement contraire à ses pulsions.

Toujours est-il que les idées de liberté, d’infini, de tolérance de 1968 ont été, par ceux-là mêmes qui les prônaient, transformées en carcan socialiste, en culpabilisation atroce de ceux qui “font” au profit de ceux qui ne “font pas” et se plaignent de pas “avoir”.

Au temps dont je vous parle les idées de retraite, de sécurité de l’emploi, d’irresponsabilité, n’avaient pas cours, ou très peu.

Puis, soudain, elles sont devenues le moteur exclusif de la société au point de faire paraître ceux qui n’y adhéraient pas comme de dangereux utopistes, fauteurs d’injustices, à éliminer.

Comment peut-on arriver, majoritairement, à une telle stupidité ? Quels sont les moteurs d’une telle dépravation de la perception de la vie, du rôle de l’homme dans cette vie ? Je ne comprends pas.

Peut-on comprendre ?

L’enchainement mécanique de cet état de la société n’est pas un secret, il est décrit par de nombreux auteurs, il est aussi perceptibles par les différents acteurs. Mais les raisons profondes de sa mise en place échappent à tous, sans quoi cette situation ne verrait pas le jour.

Ici aussi, il ne reste que l’émotion

Cette jeunesse qui se révolte aujourd’hui, quelle soit bourgeoise ou populaire, studieuse ou cancre, locale ou importée, répond à une émotion d’avenir éradiquée.

Elle est nostalgique de son futur qu’elle sent lui échapper.

Tout comme l’animal comestible sent le jour où ses maîtres le conduisent à l’abattoir après lui avoir fait croire qu’ils prenaient en charge la matérialité de sa vie, les jeunes d’aujourd’hui sentent bien que l’avenir pour eux, pour leur personne, leur libre arbitre, n’existe pas.

Ils comprennent que ceux qui leur ont fait croire qu’ils les prenaient en charge leur mentaient. Pendant qu’ils se gavaient au nom de l’équité pour tous, en réalité ils leur volaient leur avenir, leur absolu, leur infini, leurs différences.

Les jeunes gens des dernières décennies ont cédé leur humanité, ses risques, ses passions, contre un plat de nouilles non assaisonné, insipide.

Ainsi, une nostalgie indéfinie les envahit, un mal être pour eux sans explication visible qui leur est vendu comme un manque “d’uniformité” (traitreusement appelé “égalité”).

Personne ne les éclaire sur le sujet, ceux qui savent ont trop de profit à la situation actuelle pour les initier. Ils sont seuls face à cette gigantesque escroquerie qui les éloigne de leur vie d’homme, des joies et des malheurs qu’elle doit comporter sous peine de ne pas avoir été.

Je pense à eux, souvent. Comment ne pas les aimer, surtout ceux qui sont les plus trompés, les plus engloutis par la propagande, par le mensonge.

Peut-être auraient-ils pu vivre pour de vrai, au lieu de subir une pale copie de cette vie dont l’univers nous fait un bref cadeau, aussi éphémère que mystérieux.

Bien cordialement. H. Dumas

 

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A propos Henri Dumas

Je suis né le 2 Août 1944. Autant dire que je ne suis pas un gamin, je ne suis porteur d'aucun conseil, d'aucune directive, votre vie vous appartient je ne me risquerai pas à en franchir le seuil. Par contre, à ceux qui pensent que l'expérience des ainés, donc leur vision de la vie et de son déroulement, peut être un apport, je garantis que ce qu'ils peuvent lire de ma plume est sincère, désintéressé, et porté par une expérience multiple à tous les niveaux de notre société. Amicalement à vous. H. Dumas

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