FINANCES PUBLIQUES: 3 SUBTERFUGES SCANDALEUX par Patrick Aulnas.

Par Patrick Aulnas.

Pinocchio credits Luigi Orru (licence creative commons)

 

Nos finances publiques sont gérées de la manière la plus extravagante qui soit. Cette affirmation rencontrera certainement l’adhésion de tous ceux qui s’offusquent lorsqu’ils comparent la gestion de leur propre patrimoine et celle des collectivités publiques. Il y a probablement deux raisons essentielles à cette gabegie publique permanente : la politique et l’absence de normes financières encadrant les décideurs. La politique suppose la conquête du pouvoir. Tous les moyens sont bons pour y parvenir, mais dans une démocratie, la violence est proscrite. Il reste le mensonge conduisant financièrement à des promesses coûteuses et à l’accumulation de dettes. L’encadrement des décideurs (assemblées diverses, exécutifs préparant les budgets) devrait être strict et juridiquement sanctionné par l’annulation, par une instance juridictionnelle indépendante, de tout budget ne respectant pas les normes financières. Mais il faudrait d’abord élaborer de telles normes. Or, on a vu, avec l’épisode de la « règle d’or », à quel point la classe politique se braque lorsqu’il est question d’encadrer légèrement le pouvoir qu’elle s’arroge de disposer de la « richesse des nations ». Ne pas lui laisser la liberté de promettre n’importe quelle dépense, c’est limiter drastiquement son pouvoir de nuisance, mais c’est aussi lui enlever son principal atout depuis la nuit des temps : la démagogie.

Nous nous dirigerons donc, à plus ou moins long terme, vers les vieilles recettes qui ont fait leur preuve sur le plan politique parce qu’elles permettent de tromper la population sur la réalité de la situation en lui prescrivant différents somnifères. Il y a trois somnifères : l’inflation, la dévaluation, la spoliation. L’effet sur le pays est garanti et c’est le déclin.

1. L’inflation 

Ils ne le disent pas, mais tous le pensent. Une inflation élevée permettrait de déprécier fortement la dette publique et de la rembourser en monnaie de singe. Tous les « petits » candidats à l’élection présidentielle 2012 (y compris Marine Le Pen) avaient souhaité la monétisation de la dette publique. Sous ce terme technique se cache une réalité toute simple qui ferait frémir la plupart des électeurs s’ils comprenaient vraiment de quoi il s’agit : lorsque l’État a un déficit budgétaire, il doit emprunter pour financer les dépenses votées.

Depuis l’adoption du Traité de Maastricht, les banques centrales de l’Union européenne ont une mission première, celle de lutter contre l’inflation. Il en résulte qu’elles ne peuvent pas prêter aux États en créant de la monnaie ex nihilo comme elles le faisaient par le passé. La vieille pratique de la « planche à billets » est désormais proscrite. Les États doivent emprunter sur les marchés financiers, comme toute entreprise. Les adeptes de la monétisation de la dette publique souhaitent retrouver l’irresponsabilité d’antan : l’État français emprunte auprès de la Banque de France qui créé de la monnaie sur demande de la classe politique afin de financer la gabegie des dépenses publiques. Il en résulte une poussée d’inflation qui réduit l’endettement par dépréciation. La population n’y comprend rien et nos irresponsables peuvent continuer à sévir en laissant planer l’illusion de leur magistrale habileté financière.

La politique de quantitative easing de la Banque centrale européenne n’est qu’une version modernisée et techniquement plus complexe de création monétaire. Personne ne sait aujourd’hui où elle nous conduit. Mais tous les subterfuges techniques visant à colmater le gouffre béant du laxisme financier public ne sont que des expédients d’une extrême fragilité.

Il est évident que le financement de la dette publique par les marchés financiers présente de graves inconvénients pour un politique, il ne peut plus faire de politique, c’est-à-dire parader sur la scène médiatique pour énoncer des platitudes et des approximations visant à tromper l’électorat. Ces inconvénients représentent pour tout gestionnaire sérieux autant d’avantages.

— Premier avantage : l’État est soumis à la concurrence et si sa gestion est mauvaise, il devra emprunter à des taux plus élevés. Il ne doit donc pas s’endetter exagérément pour conserver la confiance des marchés.

— Deuxième avantage : la dette publique n’est pas génératrice d’inflation car la création monétaire s’adapte aux besoins de l’économie par la loi de l’offre et de la demande.

— Troisième avantage : les dirigeants politiques ne peuvent plus faire prévaloir leurs intérêts partisans, qui relèvent toujours de la démagogie, puisqu’ils sont soumis à la surveillance du marché.

Si le traité de Maastricht avait été appliqué (déficit public maximum de 3% du PIB, dette publique maximum de 60% du PIB), nous n’aurions aucune crise européenne. Mais contrairement aux affirmations des leaders politiques qui se plaignent de la dictature des marchés, c’est leur dictature à eux qui a malheureusement prévalu. Le traité a été violé par tous les gouvernements et les plus vertueux payent aujourd’hui pour les plus laxistes. La Grèce met ainsi en demeure ses partenaires européens de lui prêter afin qu’elle puisse les rembourser ! Personne ne semble même plus trouver la chose anormale. Quant aux marchés, ils ne font que réagir techniquement et tout à fait normalement : des pays mal gérés et surendettés sont de mauvais débiteurs auxquels on ne prête qu’à des conditions drastiques.

2. La dévaluation

rené le honzec 3 subterfugesUne minorité active de la classe politique, en particulier le Front national, prône aujourd’hui la « sortie de l’euro », c’est-à-dire, dans l’esprit du grand public, le retour au bon vieux franc. Peu importe ici que l’on revienne effectivement ou non à l’ancienne monnaie française si une telle hypothèse se réalise. Pour beaucoup d’électeurs peu avertis des problèmes économiques, surtout parmi les personnes d’un certain âge, le retour au franc a tous les attraits de la nostalgie. Renouer avec la vieille monnaie, c’est retrouver sa jeunesse, avoir moins d’inflation (ce qui est faux) et ne plus dépendre de la technocratie bruxelloise (ce qui est également faux, ce sont les Conseils des Ministres et le Parlement qui prennent les décisions et non la Commission européenne). Mais pour les leaders proposant ce retour au franc, il s’agit de tout autre chose. De quoi ? Avec une monnaie unique européenne, les ajustements économiques pour un pays en difficulté doivent se faire sur la réalité économique c’est-à-dire hausse des prix, baisse des salaires et des chiffres d’affaires par exemple. La population en prend immédiatement conscience et attribue la cause de ses malheurs à la gouvernance politique, même si celle-ci n’en est bien souvent pas l’unique responsable. Le fonctionnement d’une économie ne se résume pas, loin s’en faut, à la politique économique.

L’objectif des laudateurs du retour au franc est donc d’éviter ce cruel inconvénient. Comment ? Par la dévaluation de la monnaie ou par sa dépréciation sur le marché des changes. La dévaluation suppose que les monnaies soient liées entre elles par un mécanisme institutionnalisé : parité fixes ou marges de fluctuation autorisées. Si l’économie d’un pays donné s’affaiblit, on dévalue sa monnaie par une décision des autorités compétentes. Ainsi, au début des années 80, à la suite de la politique suicidaire de la gauche, le franc français a subi trois dévaluations. La dépréciation d’une monnaie intervient en système de changes flottants. Les parités sont déterminées par le marché des changes, c’est-à-dire principalement en fonction de l’offre et de la demande d’une monnaie donnée. Ainsi, la crise de l’euro a fait baisser sensiblement le cours de l’euro par rapport au dollar. Dans les deux cas, l’effet est le même : la monnaie considérée adopte une valeur relative inférieure par rapport aux autres devises.

Cela signifie évidemment, à l’échelle internationale, que les salaires, les chiffres d’affaires, les bénéfices, le patrimoine des habitants du pays considéré perdent de leur valeur. Lorsqu’on dévaluait le franc tout en réévaluant le mark, on constatait que l’heure de travail d’un français valait moins que celle d’un allemand, que la maison d’un français perdait de la valeur par rapport à celle d’un allemand, etc. En agissant sur le symbole monétaire, on prenait acte du différentiel de compétitivité entre deux économies en réajustant toutes les valeurs. L’énorme avantage pour les dirigeants politiques réside dans la stabilité des valeurs nominales, celles que perçoit le grand public. Les salaires, les chiffres d’affaires, etc., ne changent pas en valeur nominale et il faut voyager à l’étranger, en Allemagne dans notre exemple, pour s’apercevoir que tout est désormais considérablement plus cher pour un consommateur français.

Pendant des décennies, à une époque où les voyages à l’étranger ne concernaient qu’une petite minorité, les dirigeants politiques ont pu ainsi tromper la population de leur pays sur sa situation économique réelle par rapport au reste du monde. Il ne faut pas s’étonner que François Mitterrand ait plongé avec délectation dans des dévaluations successives : sa culture économique avait été entièrement configurée autour de ces expédients sous la IVe République.

Les adeptes de la sortie de l’euro, dans les milieux dirigeants de la politique, sont en réalité des nostalgiques d’une époque où l’on pouvait allégrement aligner des performances économiques très faibles et endormir la population par des dévaluations. Les dirigeants n’étaient jamais jugés sur leurs performances de gestion. Une petite habilité financière suffisait pour occulter leur échec économique. C’est à ce monde révolu que rêvent tous ceux qui prônent la sortie de l’euro. Bien entendu, nous sommes aujourd’hui entrés dans un monde globalisé où les interdépendances sont telles que la réalité économique ne peut être masquée. Certains n’ont évidemment rien compris à tout cela, mais d’autres sont assez cyniques pour jouer sur la nostalgie populaire et en retirer quelques voix supplémentaires.

3. La spoliation

Début 2015, la dette publique française a dépassé les 2000 milliards d’euros et représente 95% du PIB. Des économistes et des hommes politiques commencent à regarder du côté du patrimoine privé des ménages français qui représente globalement un montant supérieur à 10 000 milliards d’euros. Sa répartition est fournie par le tableau suivant :

Patrimoine des ménages 2012

48% de ce patrimoine est détenu par les 10% de ménages les plus riches. On peut voir là une injustice, mais les chiffres sont comparables dans les autres pays développés. Aux États-Unis, les 10% les plus riches détiennent plus de 60% du patrimoine. Autrement dit, la concentration des patrimoines est plus accentuée que celle des revenus. Il va de soi que les dirigeants politiques chercheront à puiser dans cette masse financière pour éponger progressivement la dette publique. Deux grandes orientations sont envisageables : augmenter les impôts sur le patrimoine, entraver la constitution du patrimoine en confisquant les revenus les plus élevés. Elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre.

Les impôts sur le patrimoine ont déjà commencé à augmenter fortement en France, contrairement aux affirmations lourdement erronées de la plupart des hommes politiques de gauche. Les chiffres suivants sont extraits des tableaux-clés de l’économie fournis par l’OCDE :

patrick aulnas2

La France se situe parmi les pays qui taxent le plus fortement le patrimoine, mais elle est aussi le pays où l’augmentation a été la plus forte au début du 21e siècle.
Il est également possible d’entraver la constitution des patrimoines en confisquant tout revenu supérieur à un certain montant. Les propositions de ce type font florès à gauche pendant les campagnes électorales car la haine des riches est beaucoup plus porteuse que la soif de justice. Les hommes politiques ont compris depuis longtemps que l’égoïsme est plus puissant que l’altruisme, du moins plus répandu chez les humains. Ainsi François Hollande proposait-t-il en 2012 d’instaurer un taux marginal d’impôt sur le revenu de 75% à partir d’un revenu annuel de 1 million d’euros. Jean-Luc Mélenchon proposait une imposition à 100% (« Je prends tout ») à partir d’un revenu annuel de 360 000 €. Ces propositions relevaient évidemment de la pure démagogie et François Hollande n’a pas vraiment appliqué la sienne. Elles sont approuvées par une grande majorité de la population pour des raisons émotives : dans une vie entière de travail, un smicard sera loin du million d’euros que certains obtiennent en moins d’un an. Mais comme les heureux élus sont rares, de telles mesures ne rapportent presque rien au fisc. Les 75% de François Hollande concernent 15 000 à 20 000 foyers fiscaux (sur 36 millions) et auraient rapporté environ 200 millions d’euros au fisc. Une misère ! Mais le rendement se calcule en nombre de voix.

Il ne fait cependant aucun doute qu’en cas de crise financière très grave l’État cherchera des ressources dans les 10 000 milliards du patrimoine des ménages. Les marchés financiers prêtent d’ailleurs encore à un État français surendetté, et qui continue allègrement à creuser notre tombe, que du fait de leur analyse relativiste. La France est jugée solide par rapport à d’autres pays pour deux raisons : l’administration fiscale est efficiente (et de plus en plus inquisitoriale) et les ménages français peuvent rembourser la dette de l’État qui représente à peine un cinquième de leur patrimoine.

Utiliser l’inflation, la dépréciation monétaire ou la spoliation comme substitut d’une stratégie économique, c’est penser médiocrement et agir petitement. C’est l’exact opposé de l’espoir qu’il faut insuffler aux peuples pour qu’ils regardent vers l’avenir. Si l’on nous parlait d’innovation, de création, de développement, de projets, de liberté, nous pourrions encore nous impliquer et croire en notre destin. Rien de tout cela : il faut empêcher les riches de l’être trop, rembourser ses dettes en monnaie dépréciée et rêver d’une monnaie faible qui masquerait nos échecs. Nos dirigeants nous proposent ainsi de prendre acte de notre incapacité à affronter le monde du 21e siècle. Ils se trompent sur un point : il s’agit de leur incapacité, pas de la nôtre.

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