La fraude fiscale ou le prétexte de l’hydre étatique par Jean-Philippe Delsol

 

Pour réduire la fraude fiscale, dont il dit lui-même que les « chiffres ne sont pas vérifiés », le ministre Gérald Darmanin serait sans doute mieux avisé de simplifier et clarifier la loi fiscale, de rendre l’impôt plus raisonnable et moins spoliateur.

Il ne suffit pas que les dépenses publiques représentent en France 56,5% du PIB et que les prélèvements fiscaux français, de 45% du PIB, soient désormais les plus élevés de tous les pays développés. L’Etat évoque une fraude fiscale de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an pour accroître son emprise sur les particuliers et les entreprises.

Au 31 mars de cette année, toutes les sociétés ont dû déclarer au greffe du tribunal de commerce leurs bénéficiaires économiques ultimes et chaque changement de ces bénéficiaires justifiera une nouvelle formalité. Même pour les sociétés civiles immobilières qui détiennent un patrimoine personnel ! Chaque fois, il faut payer 54,42€, ce qui est une forme de nouvelle imposition. Mais surtout, c’est un moyen pour l’Etat de disposer de données supplémentaires sur chacun. Pour mieux identifier les potentiels fraudeurs, le projet de loi examiné ce 28 mars au conseil des ministres favorisera l’échange d’informations entre administrations et leur travail sur les données des contribuables. L’Etat se permet ainsi ce qu’il reproche aux GAFA.

Il est vrai qu’il est capable déjà de violer la confidentialité à laquelle est tenue l’administration fiscale et à laquelle a droit tout contribuable. Ce 28 mars, dans une émission sur France 3 intitulée Pièces à conviction et qui ressemblait plus à un Piège à conviction, l’ancien ministre Christian Eckert a exposé sans vergogne que de son temps M. Bernard Arnault avait fait l’objet d’un contrôle et d’un redressement. Mais pour surmonter cet obstacle qu’est encore la confidentialité, le projet de loi susvisé propose d’instituer le name and shame, consistant à désigner publiquement les fraudeurs.

Ce projet de loi propose d’autres mesures pour lutter contre la fraude fiscale et notamment le renforcement des sanctions et l’instauration à Bercy d’une nouvelle police fiscale. Celle-ci rassemblera une cinquantaine de fonctionnaires et viendra concurrencer le département qui, au sein du ministère de l’Intérieur, suit ces affaires de délinquance. S’il peut être concevable de renforcer les effectifs de lutte contre la fraude fiscale, il ne paraît guère approprié de recréer entre services une guerre comme celle qui empoisonne depuis toujours la police et la gendarmerie ou d’alimenter des polémiques comme celles qui se perpétuent entre le RAID et le GIGN.

Le gouvernement souhaite en sus sanctionner les « tiers complices de fraude fiscale et sociale », qu’il appelle des officines (cabinets d’avocats, sociétés de conseil…) ayant élaboré des montages frauduleux ou abusifs. Certes, il va des soi que les conseils ne peuvent pas impunément être complices de la fraude de leurs clients. Il n’y a pas besoin d’une loi nouvelle pour les en punir. Quant aux avocats leur déontologie renforce encore leur devoir de respect de la légalité. Cette mesure est extrêmement dangereuse en ce sens qu’elle risque de priver les citoyens de conseils objectifs et indépendants. La fiscalité n’est pas toujours blanche ou noire, et elle est de plus en plus grise par la faute du législateur et de l’administration dont les lois et règlements sont de plus en plus obscurs. Le rôle des conseils est d’essayer d’interpréter le droit et de le faire progresser avec prudence et discernement. Seront-ils muselés à l’avenir par peur d’évoquer la possibilité de prendre des décisions susceptibles ultérieurement d’être considérées irrégulières ? Un exemple récent est celui des apports d’actions de sociétés à une autre société avec soulte en sursis d’imposition qui a été permis par la loi pendant 25 ans, sur la base de directives européennes, jusqu’à ce qu’en 2016 l’administration considère, à tort du point de vue de la quasi-totalité des spécialistes de la question, qu’il s’agit d’un abus de droit, assorti de 80% de pénalités, et engage des centaines de redressements pour des montants parfois considérables. Sous l’emprise de la nouvelle loi, les avocats qui ont mis en œuvre ces schémas en toute bonne foi seraient également poursuivis !

Cet exemple technique souligne l’insécurité créée par la loi, qui sera augmentée par la destruction d’une relation de totale confiance entre les contribuables et leurs conseils. D’une certaine manière, l’Etat cherche par ce projet de loi à prendre la main sur les conseils, à en faire des agents de l’Etat, comme il encourage déjà les entreprises à soumettre elles-mêmes leurs opérations de Crédit Impôt Recherche au contrôle de l’administration et les petites entreprises à demander à être contrôlées (article L. 13 CA et L.13 C du livre des procédures fiscales).

Pour réduire la fraude fiscale, dont il dit lui-même que les « chiffres ne sont pas vérifiés », Gérald Darmanin serait sans doute mieux avisé de simplifier et clarifier la loi fiscale, de rendre l’impôt plus raisonnable et moins spoliateur.

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