Le vertige de la délation

La délation a toujours existé, Judas en est l’emblème. Il est peu de crime aussi vil.

Elle fleurit dans le même temps que les régimes autoritaires, elle est carrément le carburant indispensable aux régimes dictatoriaux.

La délation n’a évidemment rien à voir avec la critique et encore moins – mais là c’est plus compliqué — avec la dénonciation d’actes immoraux graves.

Elle s’accompagne d’un avantage personnel pour le délateur, matériel ou moral, c’est-à-dire pour son porte-monnaie ou pour ses convictions.

Oppression et délation vont ensemble : dis-moi qui tu dénonces, je te dirai quel oppresseur tu sers.

Une petite histoire vraie

Nous sommes en 1967. J’ai 23 ans. Je viens d’ouvrir mon cabinet d’architecte. Plus exactement, je viens de le transférer en centre ville.

Un premier client se présente. Il est marin, dit-il, sur un petit bateau de pêche à La Rochelle qui fait ce que l’on appelle les marées. Il part à la journée sur les plateaux au large de La Rochelle à la pêche du poisson noble.

Il m’explique qu’il gagne bien sa vie. Il souhaite un terrain de 1.000 m² environ pour y faire construire une maison pouvant abriter sa famille, c’est-à-dire son épouse et ses quatre enfants.

Il s’excuse de se présenter dans ses habits de travail, mais il arrive de la mer. Ce n’est pas lui qui commande ses horaires, m’explique-t-il, ce sont les marées.

Nous partons ensemble voir un terrain qui l’intéresse, où il pense construire sa maison. Le terrain est propice à ses objectifs..

Nous revenons au cabinet, nous parlons finances, puis esquissons un projet de plan pour sa maison..

Deux heures ont passé.

Sur le point de partir, il me demande si je suis amateur de poissons. Il ajoute qu’à chaque retour de marée il a, en tant que marin, le panier traditionnel fait de quelques beaux poissons, soles, bars, dorades, etc… m’intéresserait-il qu’il m’en garde ?

J’approuve, évidemment. Après m’avoir demandé combien nous sommes à la maison, il me promet quelques beaux poissons  pour notre prochain rendez-vous fixé à quinze jours.

Puis, il part. Pour revenir aussitôt en me disant qu’il a quitté rapidement son bateau, qu’il a oublié son portemonnaie et il me demande 100 balles – pas grand-chose à l’époque — pour prendre son train de retour pour La Rochelle, qu’il me rendra évidemment lors du prochain rendez-vous.

Toutes mes antennes se mettent en mouvement, brusquement. Allez savoir pourquoi, je lui dis non, que je n’ai pas d’argent sur moi.

Le lendemain ma conviction est faite, cet homme charmant a essayé de me piquer 100 balles. Je souhaite savoir si je ne me trompe pas. L’idée d’avoir démasqué une combine m’excite, j’ai 23 ans, je ne suis pas encore complètement fini. Le serai-je un jour ?

Je vais au commissariat raconter mon histoire. Le flic me fait comprendre qu’il s’en fout un peu.

Pourtant, deux jours plus tard, deux flics se pointent à mon cabinet avec un trombinoscope de 50 ou 100 pages.

Bingo, mon client figure en bonne place sur ce livre des escrocs. Il a taxé plusieurs commerçants de la cité, qui ont donné les 100 balles.

Passé le plaisir d’avoir déjoué la manœuvre, j’ai eu honte de ma délation.

J’ai pensé à ce pauvre type qui a passé deux heures à me convaincre de ce qu’il n’était pas, une vraie pièce de théâtre. Son rôle était improvisé, remarquablement. Il n’avait pas pour spécialité les cabinets d’architecte.

Deux heures de spectacle pour 100 balles, ce n’était pas si cher.

Suite de la petite histoire

Je me suis alors juré de ne plus jamais dénoncer pour ma propre satisfaction. J’avais perçu la partie sombre de la délation, cette jouissance malsaine à faire prendre l’autre dans le filet des interdits, sans risque, de le faire chuter souvent lourdement.

Il faut se raisonner pour ne pas dénoncer, tant la chose est jouissive.

C’est ça le drame, c’est probablement une des raisons du succès, autrement incompréhensible, des dictatures.

Une dictature se compose principalement de deux choses simples :

            – Une règle si exigeante ou si absurde que tout le monde l’enfreint.

            – Une délation encouragée, facilitée par l’impossibilité pour chacun d’appliquer une loi inapplicable.

Il ne reste qu’à introduire la violence qui engendre la peur et installe la terreur, le tour est joué.

A qui pensez-vous ?

Vous avez le choix, en ses temps de dictatures tout azimut.

Ce ne sont ni les sujets ni les moyens qui manquent aux délateurs aujourd’hui.

Ici, sur ce blog, ceux que nous n’aimons pas, à qui nous ferons un jour payer la facture, ce sont Bercy et ses inquisiteurs officiels ou officieux, ses fichiers, sa terreur, ses lois volontairement opaques, ses collabos.

Car, il est une constante, les délateurs se font plaisir, mais à terme ils paient la facture de leur ignominie. Sans cela il y a déjà longtemps qu’ils auraient eu la peau de l’humanité.

Cordialement. H. Dumas

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A propos Henri Dumas

Je suis né le 2 Août 1944. Autant dire que je ne suis pas un gamin, je ne suis porteur d'aucun conseil, d'aucune directive, votre vie vous appartient je ne me risquerai pas à en franchir le seuil. Par contre, à ceux qui pensent que l'expérience des ainés, donc leur vision de la vie et de son déroulement, peut être un apport, je garantis que ce qu'ils peuvent lire de ma plume est sincère, désintéressé, et porté par une expérience multiple à tous les niveaux de notre société. Amicalement à vous. H. Dumas

Une réflexion sur « Le vertige de la délation »

  1. Le Nazisme a démontré l’efficacité de la délation française , de tout et n’importe quoi…Les régimes autoritaires comme la France développent volontiers la délation le côté obscur d’une majorité de citoyen , c’est devenu en France un savoir faire une culture . L’injustice est devenu un métier .

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