Les hauts fonctionnaires sont le problème, le privé sera la solution ! Par Claude Robert.

Comédie française credits gamebouille (CC BY-NC 2.0)

Chaque soir d’élections, le spectacle que nous sert notre classe politique est affligeant. Ne défile-t-elle pas sur les plateaux télévisés comme le ferait une troupe de théâtre en représentation perpétuelle ? Une troupe qui jouerait depuis toujours la même pièce éculée sans se soucier des spectateurs présents dans la salle ? Certes, à chaque tomber de rideau, parce qu’ils ne sont pas totalement aveugles, les acteurs de cette comédie constatent que les spectateurs se font un peu plus rares. Mais qu’ont-ils changé au fil du temps, dans leur représentation, pour pallier cette défection ? Rappelons-nous, il y a quelques années, à l’issue du dépouillement des résultats électoraux, tout le monde était satisfait de ses propres scores, tous les partis en lice se déclaraient vainqueurs, et tous rivalisaient d’arguments pour s’accaparer la victoire tout en se renvoyant dans la figure leurs bilans désastreux. Or, aujourd’hui, par la force des choses, ce ton-là est clairement passé de mode. Sous les coups de boutoir de la montée du FN, c’est-à-dire de la résurgence du réel, car il n’y a pas meilleur thermomètre que ce parti antisystème, les acteurs de notre comédie politique ont dû s’adapter. Mais croyez-vous qu’ils aient changé de pièce ? Absolument pas ! Ils se sont simplement contentés de re-toiletter leur profession de foi, et de nous réciter, malins comme ils sont, la main sur le cœur, le thème de la repentance : « nous avons compris le message », « unissons-nous au-delà des partis », « nous allons prendre des mesures à la hauteur des enjeux »… Promis juré, on se crache dans les mains, et on ne recommencera plus.

Lire la réaction de Nathalie MP au lendemain des élections : « Régionales 2015 : l’ensemble de la classe politique a perdu »

En réalité, cette pièce que l’on nous rabâche depuis si longtemps sans le moindre succès, et qui ne soulève même plus d’applaudissements, n’est que le résultat morbide d’une inadaptation totale du profil de ses acteurs. Dans un style quasiment pirandellien, mais sans l’humour ni le style, hélas, nous citoyens-électeurs-spectateurs sommes les otages d’une troupe incapable d’écrire la pièce dont nous avons besoin. Étant impotente, persuadée même que son rôle n’est plus que marginal1 compte tenu du regroupement des théâtres nationaux au sein du grand cirque européen, lui-même encerclé dans la grande comédie mondiale, cette troupe ne poursuit plus qu’un seul but : se maintenir à tout prix sur la scène. Continuer ses clowneries, se donner en spectacle quoi qu’il en coûte, tenter de profiter du théâtre tant que celui-ci peut l’entretenir, tel est son ultime objectif. Et pour l’atteindre, elle a su développer un incomparable savoir-faire : la maîtrise du verbe. Promesses, reniements, désinformation, langue de bois, diffamation, amalgames, omissions et diversions les plus sournoises sont les outils quotidiens de sa panoplie diabolique. Elle en use, elle en abuse, et elle en profite car jusqu’à ce jour, elle n’a rien trouvé de mieux. Et donnons-lui raison : elle est toujours là, sur les planches du théâtre national, à nous imposer son jeu perfide, telle un cordon de moules agrippées par vents et marées sur leur bouchot.

Théâtre national en quête d’acteurs

Méritons-nous ce spectacle immobile ? Devons-nous l’accepter jusqu’à la faillite du théâtre national ? Que nous manque-t-il finalement pour renouveler la pitoyable farce qui nous y est rejouée ? Il faudra bien résoudre un jour ces questions dont l’acuité ne cesse de croître au fil des élections. Mais avant toute chose, examinons le pourquoi de l’incompétence de la troupe. D’où proviennent ses acteurs ? Quel sont leur parcours ?

Beaucoup de spectateurs le savent, ces joueurs de comédie se ressemblent étonnamment. Parmi leurs caractéristiques communes, l’une d’entre elles saute aux yeux, et à y réfléchir, paraît totalement insensée : l’inexpérience ! Cette inexpérience est d’ailleurs multiforme, c’est dire combien elle est aggravante, puisqu’elle concerne l’absence de pratique du monde de l’entreprise, c’est-à-dire à la fois l’absence de pratique du pouvoir en situation de concurrence managériale, l’absence de pratique de la différence entre les notions d’efficacité et d’efficience2, l’absence de pratique de l’humilité devant le verdict du marché et des critères de rentabilité, et last but no least, l’absence de pratique de la sanction en cas d’échec… À cette liste effroyable s’ajoute d’ailleurs un travers mental qui rend un peu plus difficile encore l’adaptation de la troupe au monde réel : sa formation ! Il semble en effet que notre pays ait été le seul à avoir créé une « école du pouvoir » et à avoir décidé de fabriquer en série des hauts fonctionnaires, un peu comme on produirait, à l’instar de vulgaires poulets en batterie, des clones d’un spécimen génétique particulièrement avantageux. Michel Crozier, célèbre sociologue des organisations et ancien juré de l’ENA ne disait-il pas qu’il fallait fermer cette école sans délai, école dans laquelle il n’avait jamais vu « des étudiants aussi fermés d’esprit » ? L’analyse du parcours de notre actuel Président résume à elle seule l’incroyable dévoiement du processus de recrutement de nos hommes politiques : un parcours exclusivement à l’abri des ors de la République après un élevage au sein d’un douillet haras mitterrandien, puis un passage financièrement ruineux à la tête d’une petite bourgade du nom de Tulle.

enarques rené le honzec

 

Pour reprendre la métaphore pirandellienne, c’est comme si le théâtre national avait tristement choisi, depuis des décennies, de ne recruter que des acteurs muets, bègues, amnésiques, introvertis, timides, inexpressifs ou autistes. Observons froidement la trajectoire de notre pays : une part de marché mondiale divisée par deux en une trentaine d’années, un niveau d’imposition record pour nourrir une fonction publique ventripotente (davantage de fonctionnaires qu’en Allemagne, plus de ministres qu’aux USA), un taux de chômage des jeunes et des seniors digne d’un pays pauvre, un taux de suicide parmi les plus élevés du monde, une consommation d’anxiolytiques encore proche des sommets, une rentabilité des entreprises moindre que chez nos voisins, un droit du travail dissuasif, un exode des jeunes et des riches en croissance régulière, un recul constant de notre position en termes de création de richesse par habitant, une absence quasi-totale des secteurs industriels d’avenir, une croissance en berne, une exclusion de masse, des zones de non-droit, des inégalités odieuses mais persistantes entre public et privé… Il est plus que temps de renouveler la troupe. Mais avec qui ? Avec des acteurs qui ont fait leur preuve, ceux qui se sont frottés à la vraie vie, quelque soit d’ailleurs leur formation, et qui y ont obtenu de vrais résultats !

Les trésors cachés de la société civile 

Parmi les sociétés du Cac40 et les autres moins connues, nombreuses sont les réussites individuelles de capitaines d’industrie talentueux. Certaines de ces réussites ont été remarquées, mesurées de façon concrète, et leurs auteurs ont souvent suscité l’admiration de leurs pairs. Il faudrait que ces individus-là, doués d’efficacité et de rigueur, de puissance de travail et d’abnégation, se prennent de pitié pour notre pays à la dérive, et se proposent enfin pour en prendre la direction. Certes, il n’est pas facile de renouveler la troupe du théâtre national, elle se cramponne, son système de cooptation fonctionne à guichet fermé. Il existe cependant un moyen démocratique dont paradoxalement l’efficacité est en nette hausse : les élections. Parce que la caste politique a lassé la quasi-totalité de la population, parce que son discours a perdu toute crédibilité, parce que le système est au bord de l’implosion, nous assistons à l’émergence d’un parti qui n’a pour seule qualité de ne pas en faire partie ! C’est donc la preuve qu’il devient possible, pour des personnalités compétentes et extérieures au système, de se faire élire. Si en effet le FN est devenu le premier parti de France alors qu’il n’est pas plus compétent que la classe politique qu’il critique dans son ensemble, alors il existe bel et bien une possibilité de renouvellement. Quoi de plus iconoclaste et inattendu qu’un dirigeant provenant du privé ? Jamais cette possibilité n’a été probablement aussi forte qu’actuellement de favoriser l’élection d’une personnalité de la société civile. À ce titre, voici quelques-uns de ses représentants3 dont notre pays pourrait tirer le plus grand bien, parce qu’ils ont fait la preuve de leur efficacité et de leur courage, parfois même dans des situations difficiles, et si proches de l’inextricable fonction publique française :

Christian Blanc : alors Président de la RATP, il démissionne parce que le gouvernement ne le soutient pas dans sa réforme visant à instaurer un service minimum ! Il prend ensuite les rênes d’Air France à un moment très difficile pour l’entreprise, et qu’il arrive à redresser grâce à un plan drastique dont il obtient la mise en place par le biais d’un référendum auprès du personnel. Il démissionne ensuite parce que l’État lui refuse de nouveau son soutien pour le second plan de sauvetage qui s’imposait.

Thierry Breton : est arrivé à la tête de France Télécom à un moment où l’on parlait de faillite et de démantèlement. Il a fait un état des lieux des urgences et a mis en place un plan de sauvetage qui a porté ses fruits. L’opérateur français a restauré ses indicateurs, réduit considérablement son endettement tout en faisant face à une ouverture à la concurrence non feinte, certes arbitrée par le régulateur mais pas si facile que dans certains pays. Orange est actuellement l’un des tous premiers opérateurs mondiaux.

Carlos Ghosn : a sauvé Nissan alors que plus personne n’y croyait parmi ses concurrents. L’entreprise japonaise semblait vivre ses derniers instants. Il a su constituer un groupe mondial à partir de Renault, un groupe qui s’est hissé parmi les premiers constructeurs de la planète, et qui accumule les succès commerciaux. Étrange coïncidence, cet homme est actuellement en proie, lui aussi, avec les mauvaises manies de l’État, à croire que compétence et énarchie ne font pas bon ménage !

Bernard Arnault : a construit petit à petit l’empire LVMH, et s’est hissé parmi les premières fortunes mondiales en exploitant méthodiquement le marché de l’art du luxe, secteur auquel la France est si fortement associée…

Christine Lagarde : l’actuelle patronne du FMI a dirigé l’important cabinet d’avocats Baker & McKenzie, lequel a vu son chiffre d’affaires croître de moitié sous sa présidence.

Philippe Varin : il a rétabli le groupe sidérurgique en difficulté Corus, l’a sauvé de la faillite et l’a amené jusqu’à une OPA amicale lors de laquelle l’entreprise a été valorisée 15 quinze fois ce qu’elle valait avant son arrivée. A été nommé à la tête de Areva dont il a failli démissionner (encore un exemple de cette collaboration si difficile avec la caste politique) après avoir posé les premières briques du sauvetage de PSA malgré un contexte très lourd.

Etc…

Les hauts fonctionnaires sont le problème, le privé sera la solution

Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive, ni hiérarchisée, ce ne sont que quelques exemples. Parmi les actuels PDG des grandes entreprises, nombreuses sont les personnalités dotées de ce profil si rare dont le sommet de l’État semble si cruellement dépourvu. Un profil mêlant compétences théoriques et expérience opérationnelle, vision stratégique, leadership, connaissance des mécanismes macro et micro-économiques, relations internationales, expérience de la résolution de conflits sociaux, opportunisme commercial…

L’heure est grave, les chiffres sont tristement mauvais. Il est devenu urgent de réformer notre politique et de shunter les partis via des élections démocratiques totalement ouvertes. Mais il ne reste plus qu’une seule condition : que les candidats potentiels de la société civile prennent leur courage à deux mains, et se déclarent. Hélas, au vu de la façon dont le rapport de force s’organise entre formations politiques, il est presque trop tard pour éviter le carnage qui s’annonce en 2017 et qui risque de nous faire perdre encore cinq très longues nouvelles années.

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