L’impôt, religion du ressentiment par Nicolas Baverez

Impôts inutiles, niveau confiscatoire, extrême concentration. La loi de finances pour 2018 ne met pas un terme à l’arbitraire et au délire fiscal français.

PAR NICOLAS BAVEREZ

10 % des ménages acquittent les trois quarts des prélèvements fiscaux et sociaux. © PHILIPPE HUGUEN/AFP

L’échec de la mobilisation contre les ordonnances réformant le Code du travail a déplacé la contestation vers le budget. Dès lors que la poursuite de la hausse des dépenses et du déficit de l’État ainsi que le maintien des effectifs de la fonction publique ne laissent guère de place à l’antienne sur le manque de moyens, les attaques se concentrent sur la fiscalité et la dénonciation des “cadeaux aux riches”.

La loi de finances pour 2018 est cependant très loin de mettre fin à l’exception fiscale française. La transformation de l’ISF en IFI laisse subsister un impôt sur le capital immobilier, à la fois inutile au plan fiscal (le coût de perception sera supérieur aux recettes alors même qu’il s’ajoute aux prélèvements sur les plus-values, les transmissions et aux taxes foncières), injuste au plan social (il pèsera en priorité sur les fortunes moyennes), inefficace au plan économique (il biaise l’allocation des actifs et crée une menace d’élargissement de son assiette dissuasive pour le retour des ménages et des capitaux exilés). Le coût politique est élevé pour une demi-réforme qui assure la survie d’un impôt responsable de la fuite de dizaines de milliers d’entrepreneurs et de fortunes, du départ de 150 milliards d’euros de capital productif, de la perte de 12 à 15 milliards de recettes fiscales annuelles, d’une amputation de 0,3 % de la croissance depuis 2010.

Police des mœurs et des esprits

Le niveau confiscatoire de l’impôt va de pair avec son extrême concentration : 10 % des ménages acquittent les trois quarts des prélèvements fiscaux et sociaux. À la démagogie de la dérive des dépenses répond celle des exonérations. Alors que l’impôt sur le revenu n’est plus payé que par 46 % des ménages, seuls 20 % continueront à être soumis à la taxe foncière, qui ne va pas manquer de s’envoler. La majorité des citoyens se trouve ainsi coupée du financement des charges de la nation et des collectivités, vivant de l’impôt qu’elle juge toujours insuffisant, tandis que la partie de la France qui travaille meurt de son niveau inégalé dans les pays développés.

Troisième spécialité de la fiscalité française, sa prétention à contribuer à l’édification d’un homme nouveau en pesant sur les comportements des citoyens, réputés irresponsables, et en leur dictant leur manière de manger, se soigner ou s’informer. Le Code des impôts s’est transformé en police des mœurs et des esprits, au gré des humeurs des gouvernants. Ainsi le diesel et le tabac, après avoir été encouragés, sont-ils diabolisés, tandis que les sodas s’apprêtent à être surtaxés selon leur teneur en sucre.

La France est le seul pays développé où les contribuables sont tenus d’indemniser l’ÉEtat et l’administration fiscale pour leur incompétence et leurs violations du droit

L’exubérante irrationalité de la fiscalité française est illustrée par les avatars de la taxe de 3 % sur les dividendes, mise en place en 2012 pour compenser la sanction des règles applicables au précompte. En dépit de son illégalité, soulignée dès l’origine, et de l’ouverture d’une procédure en manquement de la Commission européenne en 2015 puis d’une cascade de condamnations, elle a été maintenue, collectant 10 milliards de recettes. Son invalidation définitive par le Conseil constitutionnel, le 6 octobre, ouvre aux entreprises le droit à un remboursement intégral dont le sous-provisionnement frappe la loi de finances pour 2018 d’insincérité. Pis, au lieu d’envisager de réaliser des économies ou de céder des actifs, le gouvernement entend financer cette charge par une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés. La France est ainsi le seul pays développé où les contribuables sont tenus d’indemniser l’État et l’administration fiscale pour leur incompétence et leurs violations du droit.

Les travaux de France Stratégie présentent le point ultime de l’arbitraire et du délire fiscal. Ils envisagent de taxer les loyers que les propriétaires sont censés se verser à eux-mêmes et proposent, afin de rembourser une dette publique sortie de tout contrôle, que l’État confisque une partie des terrains et des immeubles construits pour exiger des propriétaires le paiement du loyer correspondant. Soit la systématisation des biens nationaux et la création d’une nouvelle forme de ces assignats qui conduisirent à la banqueroute des deux tiers en 1797.

Dogme

La fiscalité, en France, n’est plus un instrument de politique économique mais un dogme. D’où une incapacité politique à baisser les impôts, à laquelle répond l’incapacité économique de diminuer les dépenses et de les réorienter vers l’investissement. Et ce faute d’avoir le courage de rationaliser les transferts sociaux, qui culminent à 34 % du PIB, et d’effectuer les indispensables gains de productivité dans la fonction publique, au risque de s’aliéner certaines clientèles électorales…

Marx soulignait qu'”il n’y a qu’une façon de tuer le capitalisme : des impôts, des impôts et toujours plus d’impôts”. Ce que Marx a rêvé, la France le fait. L’impôt en France détruit la croissance et les emplois, ruine l’attractivité du pays, livre nos entreprises aux capitaux étrangers et nos talents à leurs concurrentes, entretient la défiance, sape la citoyenneté et détruit l’ÉEtat. La France se relèvera quand l’impôt cessera d’être une religion de l’envie et du ressentiment pour redevenir un outil de politique économique assurant en priorité la couverture des charges publiques au service de l’intérêt général.

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Une réflexion sur « L’impôt, religion du ressentiment par Nicolas Baverez »

  1. Envie, jalousie, calomnie, délation…les maux de la société française que le socialisme et le communisme ont semé depuis plus de 60 ans et que les dévots ont bien entretenus

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