Rétrospective fiscale 2015 par Mathieu Le Tacon

Ou pourquoi la France est vice-championne du monde des prélèvements obligatoires

A l’heure où les traditionnelles lois de finances de fin d’année viennent d’être définitivement adoptées il n’est pas inutile de dresser le bilan de l’année fiscale écoulée.

 

Durant l’année 2015, l’innovation fiscale a été moindre que les années précédentes où elle avait frappé durement les contribuables. Les lois de finances de fin d’année ne contiennent pas de mesures significatives. Il faut noter la baisse de l’impôt sur le revenu de deux milliards d’euros qui bénéficiera à huit millions de foyers et permettra que désormais 54% des foyers soient exonérés d’impôt sur le revenu, ce qui pose un problème de démocratie dès lors qu’une majorité de Français pourrait voter l’augmentation d’un impôt qu’ils ne payent pas.

Des mesures anecdotiques en apparence marquent par ailleurs la déliquescence de notre fiscalité. Il en est ainsi de l’abaissement de 20 à 5,5% de la TVA sur les serviettes hygiéniques au prétexte que seules les femmes en ont besoin. Demain, les hommes demanderont le même taux sur la mousse à raser, pour des raisons du même ordre. Ainsi, la TVA devient un patchwork aux neuf taux dont les justifications se perdent dans les sombres intrigues de différents lobbies. Par ailleurs les entreprises vont bénéficier de quelques aménagements de seuils et sont destinataires de promesses renouvelées pour des baisses d’impôt à terme ! Enfin diverses mesures tendent à augmenter les taux ou alourdir les conditions d’imposition sur les indemnités de départ par exemple ou sur l’énergie…

Mais ce qui a été significatif en 2015 sur le plan fiscal en France, ce sont les limites que le droit européen est venu poser à l’imagination fiscale française. Deux décisions sont particulièrement importantes à ce titre.

Les contribuables non résidents ne devraient plus être passibles de la CSG

Dans ce cadre c’est en premier lieu la très attendue décision « de Ruyter » rendue par la CJUE le 26 février 2015 qui vient à l’esprit. Dans cette décision, répondant à une question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat, la Cour de Luxembourg a confirmé que les prélèvements sociaux (CSG, CRDS, etc.), en ce qu’ils participent directement au financement de la sécurité sociale, doivent être considérés comme des « cotisations sociales » soumises en tant que telles au principe de non double cotisation posé par la règlementation communautaire.

De l’avis de tous les commentateurs cette décision devait sonner le glas de la « CSG des non-résidents » qui, depuis 2012, s’applique (au taux global de 15,5%) sur les revenus et gains immobiliers de source française des non-résidents fiscaux français.

Pourtant, après avoir pris tout son temps pour faire connaître les conséquences qu’il entendait tirer de la position de la CJUE, le Gouvernement a indiqué en fin d’année que, pour le passé, seuls les non-résidents communautaires seraient remboursés et, surtout, que pour l’avenir (grâce à une légère modification[1] de l’affectation budgétaire de la CSG des non-résidents, permettant de prétendre ne plus financer la sécurité sociale) les non-résidents fiscaux continueront à se voir appliquer des prélèvements sociaux sur leur gains immobiliers et revenus locatifs de source française.

Ce subterfuge législatif, si artificiel qu’il serait sans nul doute qualifié d’abus de droit s’il émanait d’un contribuable, ne manquera pas d’attiser de nouveaux contentieux.

Du reste l’objectif du Gouvernement (qui vient par ailleurs d’être à nouveau sanctionné en matière de CSG, cette fois par le Conseil constitutionnel[2] qui a retoqué son projet de CSG dégressive) était-il sans doute moins de trouver une parade juridiquement solide que de gagner du temps avant d’admettre l’échec d’un dispositif purement idéologique.

En tout état de cause, l’influence du droit communautaire ne se limite pas à la fiscalité des particuliers et s’étend largement à celles des entreprises.

Le principe de la liberté d’établissement ne permet pas d’avantager spécifiquement les entreprises françaises

Ainsi l’année 2015 a-t-elle été marquée par la jurisprudence « Groupe Steria SCA » rendue le 2 septembre dernier par la CJUE et relative, une fois de plus, à notre régime d’intégration fiscale.

Tous les fiscalistes savent que ce régime fiscal de groupe permet de neutraliser la quote-part de frais et charges de 5% propre au régime « mère-fille » et, ainsi, de faire circuler les dividendes intragroupes en totale exonération fiscale.

Or, si le régime mère-fille s’étend aux filiales européennes détenues par une société française, tel n’est pas le cas du régime d’intégration fiscale.

Il n’est donc pas surprenant que la CJUE ait considéré que le régime d’intégration fiscale français, en traitant différemment les dividendes versés par des filiales selon que celles-ci aient ou non leur siège social en France, constituait une violation du principe de liberté d’établissement.

Mais, là encore, ce qui surprend est moins le sens de la décision Groupe Steria SCA (dans la droite ligne de la jurisprudence déjà rendue par la CJUE en matière d’intégration fiscale) que la réaction du législateur.

En effet, contraint de mettre en conformité le régime d’intégration fiscale le législateur a choisi[3], non pas d’étendre la neutralisation la quote-part de frais et charges aux filiales européennes (ce qui aurait représenté un coût budgétaire significatif) mais de… supprimer la neutralisation de la quote-part de frais et charge en ramenant toutefois le taux de celle-ci- (dans le cadre de l’intégration fiscale seulement) à 1% contre 5% jusqu’à présent.

Au final, seuls les très grands groupes français, qui perçoivent d’importants dividendes de filiales européennes tireront profit de la jurisprudence Groupe Steria SCA. A l’inverse les groupes moins importants percevant exclusivement des dividendes de filiales françaises se verront (un peu) plus lourdement taxés, d’autant plus que les dividendes peuvent être imposés en cascade en cas d’interposition de plusieurs sociétés avant de parvenir à la société mère intégrante…

De ces deux jurisprudences rendues par la CJUE au cours de l’année 2015, retenons que le droit communautaire est un formidable outil à la disposition des contribuables pour lutter contre un législateur fiscal incapable de briser le cercle vicieux de la lourdeur et de l’instabilité de la fiscalité française.

La partie n’est toutefois jamais définitivement gagnée eu égard aux réponses législatives françaises, toujours étonnamment retorses, faces aux critiques communautaires.

Il est vrai qu’il faut une imagination débordante pour permettre à la France d’être, comme le relève l’OCDE, vice-championne du monde (après le Danemark) des prélèvements obligatoires.

Mathieu Le Tacon,
Delsol Avocats, pour l’IREF

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