Chemin des Dames  et Covid : désastres parallèles ?

Le 16 Avril 1917, le Général Robert Nivelle, chef d’Etat Major de l’Armée française, lançait la fameuse offensive du Chemin des Dames. « La bataille commença à 6 heures du matin. A sept heures, elle était perdue » écrivit Abel Ferry – le neveu de Jules – qui était sur place.

Nivelle, le pire général de la Grande Guerre

 « Nivelle s’entêta, histoire de transformer une défaite en désastre. » raconte Bruno Jarrosson dans son passionnant ouvrage La panne de l’intelligence stratégique (L’Harmattan, 2014) consacré à la stratégie militaire et politique dans la Grande Guerre. Quatre semaines et 50 000 morts plus tard, le Général Nivelle fut démis de ses fonctions et remplacé par le Général Philippe Pétain.

Ce désastre militaire et humain ne fut même pas le pire de la Grande Guerre : sur sa statue à cheval face à l’Ecole Militaire, c’est incontestablement Joffre qui détient la palme en matière de massacre de la jeunesse française.

Mais c’est parce que cette offensive restera le point culminant de la nullité stratégique, de l’aveuglement et de l’arrogance d’une génération de leaders pitoyables que le Chemin des Dames vaut au Général Nivelle sa réputation de pire général en chef de la guerre, Allemands et Français confondus, dans un concours d’incompétence stratégique pourtant très relevé.

L’idéologie tue

Parmi les dramatiques erreurs stratégiques identifiées par Bruno Jarrosson, la plus immédiatement mortelle était sans doute l’idéologie militaire de l’époque : l’offensive à outrance. Or, avec l’invention de la mitrailleuse, l’avantage était à la défense. « Attaquons, attaquons comme la lune » disaient alors quelques rares esprits critiques. Dès l’automne 1914, il est clair que cette stratégie est en échec. Mais le raisonnement idéologique a conduit à l’appliquer systématiquement en 1915, 1916 et 1917, jusqu’au Chemin des Dames.

« La stratégie de Joffre, puis de Nivelle, se résume à cette idée : concentrer les moyens dont je dispose pour percer le front. De chaque échec, il concluait qu’il n’avait pas concentré assez de moyens. Tel est le mode de la pensée directe : face à l’échec faire plus de la même chose. Ne pas renoncer à une stratégie qui a échoué, mais l’amplifier. Il s’agit d’un mode de pensée clos qui n’imagine pas de sortir de son cadre. La pensée est juste par définition, la faille est dans l’exécution. » explique Bruno Jarrosson.

Les objectifs du commandement français étaient étroits : percer le front pour détruire l’armée ennemie. Joffre ne voyait que ses 720km de tranchées, les concepts de point de moindre attente, stratégie indirecte ou autres fondements de la stratégie ne l’effleuraient même pas. L’idée qu’on puisse penser autrement  n’était pas concevable. C’était le règne de l’idéologie, de la pensée unique, qui est l’inverse de la pensée stratégique.

Le cœur se serre en pensant à tous ces jeunes hommes massacrés par l’incompétence stratégique de ces généraux qui, eux, reçurent des obsèques nationales. Comme d’habitude, les décideurs paient leurs erreurs avec la souffrance et le sang des autres, en l’espèce des jeunes.

Covid, nouvelle panne de l’intelligence stratégique ?

La crise du Covid est évidemment assez différente de la Grande Guerre, mais il me semble que l’on peut distinguer plusieurs parallèles assez troublants entre ces deux moments.

Le premier est probablement l’étroitesse des objectifs que se fixe le gouvernement : vaincre le virus à court terme pour éviter une surmortalité des personnes âgées. On ne perçoit aucune réflexion d’ensemble sur la situation sanitaire, psychologique, économique du pays dans la durée. Nous sommes dans une stratégie étroite, directe de confrontation au virus : les décisions du gouvernement subordonnent toute la vie du pays à cet objectif. Comme en 1914-1917, nos dirigeants sont dans la pensée unique. Ils n’imaginent pas et n’acceptent pas qu’on puisse penser différemment.

Pourtant, le 4 Octobre 2020, un collectif d’épidémiologistes des maladies infectieuses et scientifiques spécialisés en santé publique américains, anglais, allemands et autres, publient la Déclaration du Great Barrington dans laquelle ils énoncent :

« Les politiques actuelles de confinement produisent des effets désastreux sur la santé publique à court, moyen et long terme. Parmi les conséquences, on peut citer, entre autres, une baisse des taux de vaccination chez les enfants, une aggravation des cas de maladies cardio-vasculaires, une baisse des examens pour de possibles cancers ou encore une détérioration de la santé mentale en général. Cela va engendrer de grands excès de mortalité dans les années à venir, notamment dans la classe ouvrière et parmi les plus jeunes. ».  Ils proposent une stratégie de « protection focalisée ».

Personne en France n’en a parlé. Aucune évaluation des conséquences à moyen et long terme des décisions prises actuellement n’est seulement esquissée.

La sociologie de nos dirigeants

Le deuxième parallèle entre ces deux moments me semble devoir être recherché dans la sociologie de nos dirigeants. De même que les généraux de la Grande Guerre appartenaient à un clan militaire soudé, imprégné d’une idéologie unique, nos ministres, leurs entourages et les hommes et les (quelques) femmes qui composent de plein droit le Haut Conseil de la Santé Publique et font la politique sanitaire du gouvernement proviennent tous du même groupe social, les hauts fonctionnaires et assimilés : ils ont, quasiment tous, été toute leur vie payés par nos impôts. Autrement dit, ils sont plutôt inquiets pour leur santé, mais pas du tout pour leur emploi ou leur salaire à la fin de mois.

A la lumière de ce constat sociologique, on comprend mieux les décisions prises. Et en annonçant en Mars dernier que le pays était « en guerre » contre le virus, on comprend aussi que le Président Macron désignait les futures victimes : les jeunes. « En temps de paix, les fils ensevelissent leurs pères ; en temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils. » disait Hérodote.

 La guerre des générations est déclarée

Les auteurs de la Déclaration du Great Barrington rappellent que ce virus est environ mille fois moins mortel pour les jeunes que pour les vieux, qu’il est moins dangereux pour eux qu’une grippe saisonnière. Ce sont pourtant les jeunes qui sont ciblés, affaiblis, culpabilisés, désignés comme les coupables de la contamination de leurs ainés. Ce sont les collégiens qui sont brutalisés par le port d’un masque oppressant et inutile, les étudiants qui reçoivent un diplôme dévalorisé, les jeunes qui abordent un marché du travail sinistré comme jamais, leur vie sociale et amoureuse qui est interdite. Par contre, il n’y a aucun problème de distanciation physique pour nos jeunes quand il s’agit de les autoriser à prendre des métros ou des trains bondés pour aller travailler et ainsi alimenter les coffres du Trésor Public et les caisses de retraite des fonctionnaires.

La guerre des générations est déclarée et ce sont les jeunes qui règleront la facture. Comme par hasard, toutes les mesures prises sont financées par la dette, ce qui veut dire que ce sont les jeunes qui demain devront les rembourser.

Comme en 14, nos vieux dirigeants se servent honteusement de la jeunesse pour se protéger et protéger leur position. Je suis, comme le philosophe André Comte-Sponville, révolté par cette inversion des valeurs : dans une société civilisée, ce sont les parents qui protègent leurs enfants, pas le contraire.

Les fonctionnaires agressent le secteur privé

L’autre catégorie de victimes, sans surprise, sont les acteurs et employés du secteur privé. Le président du Medef s’interrogeait le 26 Octobre pour savoir si la France avait les moyens de s’offrir un nouveau confinement, synonyme de désastre économique, d’explosion du chômage et de misère pour les plus faibles.

La réponse est pourtant claire : nous, citoyens ordinaires, n’avons pas les moyens d’un nouveau confinement, mais nos dirigeants si. Elus ou pas, ils sont tous payés par nos impôts. Leur taux de chômage est de zéro, leur revenu à la fin du mois de 100% avant, pendant et après le couvre-feu/confinement.

« La crise sanitaire, c’est une chose trop grave pour être confiée à des fonctionnaires hospitaliers »

 Joffre, général en chef de 1911 jusqu’à Décembre 1916, ne discutait jamais de sa stratégie avec les hommes politiques. « Comme la chose militaire est devenue pour le pire et pour le pire l’unique soucis de la France, Joffre exerce donc un pouvoir total sans contrôle républicain. Joffre est de fait devenu le dictateur de la France. A l’automne 2016, le gouvernement saisi par le doute comprendra qu’on ne discute pas avec Joffre, il n’est d’autre choix que de le démettre. Ce qui ne se passera pas sans difficulté, car Joffre, comme tout dictateur, va s’accrocher à son siège avec une énergie farouche. » explique Bruno Jarrosson.

En réalité, il faudra attendre encore un an et la nomination de Georges Clemenceau à la Présidence du Conseil pour que le pouvoir politique reprenne le contrôle du pays : « La guerre !, c’est une chose trop grave pour être confiée à des militaires » clamait Clemenceau.

Et de fait, un an plus tard, la France et les Alliés gagnaient la guerre. De l’autre côté du Rhin, l’inverse se produisait : les généraux Hindenburg et Ludendorf obtenaient le départ du chancelier Bethmann Hollweg, en poste depuis 9 ans. En pratique, les militaires allemands contrôlaient le pays, jusqu’à la défaite.

Même si ceci n’est pas, loin s’en faut, la seule raison du dénouement de cette guerre désastreuse, cette observation me semble intéressante. L’avenir nous dira si un troisième parallèle pourra être fait entre le Chemin des Dames et la crise du Covid.

Dictature sanitaire ou retour de la démocratie ?

De plus en plus de Français ne reconnaissent plus à nos dirigeants la légitimité morale de diriger le pays parce que, de par leur statut, ils sont exemptés des conséquences de leurs décisions. Peut-être que cette crise va nous permettre de secouer le joug de ce régime en exposant le degré et la profondeur de son incompétence.

Mais la difficulté à laquelle nous sommes confrontés un siècle plus tard est que, comme je l’ai démontré dans Vendons les Parisiens ! la société civile n’est plus représentée dans les organes du pouvoir. A peu près tout ce que la France compte d’hommes et femmes politiques sont des fonctionnaires ou ont vécu toute leur vie sur les impôts des Français.

En France, il n’y a plus de classe politique, seulement une organisation administrative qui usurpe une part sans cesse grandissante du pouvoir et de la richesse des Français et les étouffe. Lorsque ce constat, né de la simple observation des faits, sera largement partagé, alors la voie du retour à la démocratie sera ouverte.

Dans Diplomatie, Henry Kissinger fait remarquer qu’historiquement, aucun régime politique en France n’a survécu à une défaite militaire. Il n’est pas sûr que celui-ci résiste à la crise du COVID.

En tout cas, une chose semble certaine : cette fois-ci, aucun d’entre eux n’aura de funérailles nationales.

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6 réflexions sur « Chemin des Dames  et Covid : désastres parallèles ? »

  1. Le mot République en France que certains utilisent à tout bout de champ. La Ripoublique serait préférable !
    La France depuis quelques décennies est une suite de mensonges sur lesquels beaucoup trop de citoyens sont d’accord et cela rend son redressement impossible ou très , très difficile.
    « Plus une société se détourne de la vérité, plus elle déteste ceux qui la disent. » George Orwell

  2. Très bel article qui fait froid dans le dos.
    Nous, ici sur ce site nous avons constaté , à notre détriment, voir plus, la malfaisance de tous ces fonctionnaires qui vivent allégrement de notre travail. De notre sang serait plus juste.
    Merci Didier de faire partie des quelques hommes sensés qui nous restent en France.
    J’ai toujours eu grand plaisir à vous lire…

  3. Macron : moins ça fonctionne plus il insiste et ce, dans tous les secteurs sous sa responsabilité, c’est à dire LA TOTALE puisqu’il l’a voulu ; personne ne lui a mis un pistolet dans le dos pour prendre le pouvoir, quoique . . . . (serait-il veule et lâche?)

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