CHINE : la « Cinquième Modernisation » n’aura pas lieu par Nathalie MP.

Mise à jour du mercredi 6 janvier 2021 : Les autorités chinoises ont procédé ce jour à plusieurs dizaines d’arrestation et de nombreuses perquisitions dans les médias et les milieux pro-démocratie de Hong Kong dans le cadre de la loi de sécurité nationale applicable à Hong Kong adoptée l’été dernier par le pouvoir central chinois. La raison apparente de ce coup de filet politique serait les primaires organisées en juillet par l’opposition avant les élections législatives programmées (puis annulées pour cause de Covid) par le pouvoir de Pékin. De la « subversion », selon les termes extrêmement vagues de la nouvelle loi qui manifeste ainsi sa capacité à museler toute dissidence, comme expliqué ci-dessous :

Lorsque le Royaume-Uni a remis Hong Kong à la Chine en 1997, il était entendu que le territoire continuerait à bénéficier de l’État de droit instauré par les Britanniques ainsi que d’une relative autonomie par rapport à la Chine communiste pendant encore au moins 50 ans. C’était le principe « Un pays, deux systèmes » énoncé par Deng Xiaoping lui-même peu avant la restitution.

Mais en réalité, la Chine n’a eu de cesse depuis lors de trouver un moyen de « continentaliser » Hong Kong, c’est-à-dire de dépouiller ses habitants de leurs intolérables libertés civiles et politiques et de museler l’opposition démocratique.

• Plusieurs tentatives ont eu lieu qui durent être ajournées face à l’ampleur de la contestation, notamment en 2003 contre un premier premier projet de loi de sécurité nationale, puis en 2014 avec la « révolution des parapluies » qui s’opposait à la limitation du suffrage universel souhaitée par Pékin dans l’élection du chef de l’exécutif hongkongais, et encore en 2019 contre une loi d’extradition qui violait l’indépendance judiciaire de Hong Kong.

Mais le 30 juin dernier, la Chine vient finalement d’aboutir via l’adoption à l’unanimité par le Parlement chinois puis la promulgation dans la foulée par le Président Xi Jinping de la loi très controversée sur la sécurité nationale applicable à Hong Kong.

Dès le lendemain, jour anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine qui a vu les Hongkongais se rassembler massivement pour marquer leur désapprobation, les premières arrestations ont eu lieu. Les revendications d’indépendance et de liberté du territoire sont particulièrement visées.

Sous couvert de réprimer le « séparatisme », le « terrorisme », la « subversion » et la « collusion avec des forces extérieures et étrangères », la nouvelle loi, qui prévoit principalement des peines de prison à perpétuité sans appel, est tellement vague quant aux crimes qu’elle entend combattre que l’opposition hongkongaise pro-démocrate et bon nombre de juristes y détectent surtout un vaste prétexte pour museler toute dissidence anti-Pékin dans l’ancienne colonie britannique :

« Fondamentalement, Pékin va pouvoir arrêter n’importe qui, pour n’importe quel crime, puisque c’est Pékin qui a le pouvoir d’affirmer ce que vous avez fait de mal et en quoi c’est mal. » (un juriste de Hong Kong qui a demandé que soit préservé son anonymat)

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Même interprétation du côté des États-Unis dont le secrétaire d’État Mike Pompeo (équivalent de notre ministre des Affaires étrangères) a immédiatement souligné dans un tweet l’évidente répression des libertés individuelles qui constitue le fond du texte imposé par la Chine :

« La loi draconienne du Parti communiste chinois sur la sécurité nationale met fin à la liberté à Hong Kong et montre ce qui fait le plus peur à Pékin : la liberté de penser et d’agir de son propre peuple. »

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• La liberté de penser et d’agir, autrement dit la liberté d’expression et d’opinion, la liberté de la presse, la liberté de se déplacer, la liberté d’entreprendre – telles étaient justement les aspirations qui ont commencé à poindre en République populaire de Chine dans le courant des années 1970 et qui se sont renforcées après la mort de Mao en 1976 avec l’arrivée au pouvoir du « réformateur » Deng Xiaoping en 1978.

Dès 1979, ce dernier se rend aux États-Unis, encourage les échanges avec l’extérieur et met en place un ensemble de réformes connues sous le nom des « Quatre Modernisations ». Sont concernées l’agriculture, l’industrie, les sciences et technologies et la défense nationale. Ce vent nouveau d’assouplissement économique entraîne l’émergence d’une demande pour une « Cinquième Modernisation » concernant la démocratie, les droits individuels et la liberté d’expression (d’où mon titre).

Nul doute que l’ouverture économique de la Chine à la fin du XXème siècle se soit traduite par une baisse considérable de l’extrême-pauvreté en Asie et dans le monde. En 1990, 60,8 % des habitants de l’Asie de l’Est – dont la Chine constitue le plus gros morceau – vivaient sous le seuil international de pauvreté et ils n’étaient plus que 4,1 % en 2015 (voir infographie). Ce n’est pas rien.

Mais l’histoire de la Chine à l’époque de Deng Xiaoping tend à montrer que les « Quatre Modernisations » économiques sont limitées par le plafond indépassable de l’idéologie communiste qui empêche strictement l’accès à la « Cinquième Modernisation ». Car c’est bel et bien Deng, le réformateur qui s’était opposé au clan du Grand Timonier après l’échec du « Grand Bond en avant » (1958-1962), qui donna l’ordre d’envoyer les chars sur les étudiants contestataires de la place Tiananmen en 1989.

• Avec la mise au pas de Hong Kong et les arrestations massives de jeunes militants pro-démocrates, on voit le même schéma se reproduire à l’ère de Xi Jinping.

Ce dernier est arrivé à la tête de la Chine et sur la scène internationale en 2013 plein de promesses réformatrices, allant jusqu’à vanter les mérites du libre-échange au forum économique de Davos de 2017.

Mais loin d’entreprendre enfin la « Cinquième Modernisation » qui accorderait aux Chinois les libertés individuelles qui leur manquent, on le voit réduire peu à peu les espaces de liberté de la société chinoise.

Tout est fait pour recentrer la pensée politique chinoise autour du marxisme et lui seul, comme en témoigne une émission télévisée de grande diffusion intitulée « Marx avait raison ». Il y a deux ans, à l’occasion du bicentenaire de la naissance du philosophe allemand, Xi Jinping n’avait pas lésiné sur les propos élogieux à son égard :

« Le nom de Karl Marx est encore respecté à travers le monde et sa théorie rayonne encore avec la lumière brillante de la vérité. » (Début de cette vidéo)

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« La lumière brillante de la vérité » : une maxime glaçante dans la bouche d’un dirigeant politique tout-puissant qui s’est arrangé pour rester en poste indéfiniment. En mars 2018, il a en effet été réélu pour un second mandat à l’unanimité des députés chinois, non sans avoir d’abord obtenu la modification de la Constitution afin de pouvoir rester Président à vie.

Économiquement, le Parti communiste chinois étend sans cesse son influence – et la corruption qui va avec. La Chine pratique intensément le contrôle des capitaux, renforce en permanence ses monopoles d’État dans tous les domaines et impose une multitude de réglementations spécifiques aux entreprises étrangères – toutes choses qui semblent avoir empiré avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir.

Socialement, nul besoin d’en passer par une répression de type Tiananmen pour domestiquer la population et faire rentrer dans le rang les éventuelles fortes têtes aux idées fâcheusement libérales puisque le développement technologique du « big data » permet dorénavant d’instaurer une surveillance de tous les instants sur tous les citoyens. Le contrôle social bat son plein en Chine avec l’objectif ultime d’éteindre toute velléité d’opposition politique via un subtil maniement de carotte et de bâton.

Pour parachever son emprise, la Chine mène aussi une politique de restriction des libertés religieuses tous azimuts afin d’étouffer toute organisation qui pourrait éventuellement contester l’autorité du régime.

Sous le motif officiel de lutter contre les extrémismes et le terrorisme, les contrôles se resserrent de plus en plus sur les religions – dans certaines provinces, les baptêmes sont interdits – et dans ce domaine, les musulmans du Xinjiang chinois, des Ouïgours essentiellement, sont particulièrement et sauvagement visés.

La répression en question part d’une réalité, les attentats islamistes des années 2013 et 2014 dans la région. Mais les nombres en cause et les méthodes employées, dignes du lavage de cerveau très prisé par Mao ou son disciple cambodgien Pol Pot, éloignent nettement l’affaire de la lutte légitime contre le terrorisme.

La « déradicalisation » et « l’éducation aux lois » ont commencé modestement en 2015 auprès de personnes jugées trop zélées dans leur pratique religieuse. Mais à partir de 2017, le système s’intensifie. Les ONG dénoncent la détention de centaines de milliers de musulmans dans des camps, un rapport du Congrès américain s’inquiète « d’une répression sans précédent » et des témoignages font état de séances d’endoctrinement au cours desquelles il faut chanter les louanges du Parti communiste et dénoncer l’islam.

Aux dernières nouvelles, Pékin serait même entré dans une phase active de domination raciale. Selon une étude publiée le 29 juin dernier par la Jamestown Foundation, la Chine mènerait dans la région une politique active de contrôle des naissances et de stérilisations forcées à l’encontre des familles ouïgoures.

Dans un article de Libération du 20 juillet dernier, une enseignante ouïgoure exilée en Europe livre le témoignage suivant qui corrobore les conclusions de l’étude :

« Toutes les femmes âgées de 18 à 50 ans de mon quartier, à Urumqi (capitale du Xinjiang), ont été convoquées le 18 juillet 2017, pour un « examen gratuit » obligatoire. (…) Quand ça a été mon tour, il n’y a pas eu d’examen gynécologique, ni d’entretien. On m’a fait m’allonger et écarter les jambes, et on m’a introduit un stérilet. Ça a été d’une violence terrible. » 

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Du Xinjiang à Hong Kong, la Chine de Xi Jinping doit être han et communiste, point. Tout ce qui dépasse doit être impitoyablement contrôlé, limité ou supprimé. Les libertés civiles sont bafouées, les libertés de conscience et de religion sont piétinées, les libertés d’opinion et d’expression sont enterrées. La personne individuelle, dépouillée de ses possibilités de choix et de ses facultés de discernement, est anéantie.

Bref, la « Cinquième Modernisation » n’est pas au programme.

À nous, les libéraux, de rappeler que la liberté est une et entière. La circonscrire à une certaine prospérité économique au mépris des aspirations individuelles des personnes, au mépris de leur liberté de conscience, au mépris de leur recherche personnelle du bonheur est un totalitarisme.


Mise à jour du mardi 11 août 2020 : Depuis la promulgation de la loi de sécurité nationale par Xi Jinping, les arrestations se poursuivent à Hong Kong et confirment que c’est bien la suppression de toutes les libertés individuelles, dont notamment la presse et l’expression, qui est ultimement visée par Pékin. Hier, c’était le tour du patron de presse pro-démocrate Jimmy Lai et de plusieurs figures du mouvement démocrate. Les Hongkongais font de leur mieux pour résister.

CHINE : la « Cinquième Modernisation » n’aura pas lieu

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