La démocratie verticale

Comme je l’avais annoncé, le gouvernement vient d’engager sa responsabilité dans le cadre de la procédure de l’article 49-3 de la constitution dans le but de forcer à l’adoption de son projet de loi sur la réforme des retraites.

Cette décision a été prise à l’Elysée, fin de semaine dernière, à l’occasion d’une réunion à propos de la crise épidémiologique du coronavirus.

Ce faisant, il stoppe le débat parlementaire et le texte du gouvernement sera réputé adopté si l’opposition n’arrive pas à obtenir un vote majoritaire de la mention de censure qu’elle doit déposer sur le bureau de l’assemblée.

Evidemment, nous ne sommes plus vraiment dans le cadre du grand débat tel qu’il avait été mis en avant par E Macron lors du mouvement des gilets jaunes !

J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer le caractère si particulier de la Vème république dans lequel la démocratie n’est exercée que de manière intermittente une fois tous les cinq ans par les français.

Conformément à la conception gaullienne du pouvoir, le président n’a de comptes à rendre qu’aux français, une fois tous les cinq ans, et sûrement pas devant le parlement !

Le macronisme y a ajouté une forme autoritaire avec  l’idée que le parlement n’est désormais plus qu’un accessoire ou une annexe de l’exécutif.

Cette pratique constitutionnelle pose néanmoins deux types de questions :

Est-on en présence d’un « coup d’Etat constitutionnel » ?

Même pas puisque cette faculté est explicitement ouverte par la constitution elle-même ! On peut aussi considérer que l’obstruction systématique de l’opposition, et principalement de la LFI, n’est pas de nature constructive  (beaucoup d’amendements se bornent à déplacer des virgules et des points), et que de ce fait, le pouvoir n’a pas à être l’otage d’une fraction extrêmement minoritaire des députés.

Seulement, la réforme est rejetée par une majorité de français et il subsiste plusieurs zones d’ombre qui ne sont pas de nature à rassurer. Il s’agit notamment de l’âge de départ en retraite, du financement, de la valeur du point de retraite. Tout cela n’est pas clairement fixé et on peut penser que c’est volontaire de la part de l’exécutif …

Le gouvernement a-t-il choisi de passer, vite fait, en force alors que la population commence à être surtout préoccupée par le développement de l’épidémie de coronavirus ?

On peut le penser mais il prend le risque que la contestation redescende dans la rue avec le cortège de violences auquel on assiste depuis novembre 2018 … sauf interdiction des rassemblements pour cause de coronavirus !

En fait, le gouvernement cherche l’ouverture et n’a cessé de louvoyer pour essayer de désamorcer la contestation en divisant le front syndical. On sait néanmoins qu’il s’agit d’un projet totalement technocratique, émanant d’un gouvernement technocratique, qui concerne l’ensemble des français mais dont on ne sait finalement pas grand-chose ; ce qui est pour le moins curieux !

D’ailleurs, les récents cadeaux faits aux fonctionnaires (notamment de l’éducation nationale) sont une manière évidente d’acheter la paix sociale pour affaiblir le front syndical au prix d’un affaiblissement durable des finances publiques qui … n’avaient vraiment pas besoin de ça !

D’une manière plus générale, on en revient à cette question : fallait-il faire cette réforme ?

On sait que la France a les dépenses sociales le plus élevées de l’OCDE et bien plus élevées que les autres pays de l’Union Européenne. Les cotisations sociales pèsent lourdement sur les entreprises en laminant leur compétitivité et, partant, leur capacité à investir et à embaucher.

Il ne faut pas chercher plus loin le taux de chômage anormalement élevé qui subsiste dans ce pays !

Le système est à ce point déséquilibré qu’il génère de manière constante des dettes qu’il faut compenser soit par des augmentations d’impôts (voir la CSG) qui sont de plus en plus mal acceptées par la population compte tenu du niveau déjà excessif de la prédation fiscale soit par l’emprunt ce qui explique en partie le montant astronomique de la dette publique qui culmine désormais à 100% du PIB !

Il en résulte un grave et malsain déséquilibre des finances publiques et de l’économie du pays et une violation permanente des règles européennes de stabilité budgétaire que nous avons imposées à l’Allemagne en vue de l’adoption de l’€ ; € que nous avons imposé (sous Mitterrand) à l’Allemagne en échange de sa réunification !

La réforme est nécessaire … Mais le problème de fond qui se pose est celui-ci :

 Est-ce que la réforme que veut faire le gouvernement est celle qu’il fallait faire ?

Pour ma part, je ne le pense pas surtout que pour certaines caisses de retraite le pillage est évident !

J’en veux pour preuve le régime des avocats (CNBF), excédentaire, dont le pouvoir veut littéralement pomper la trésorerie après avoir expliqué à cette corporation (dont j’ai fait partie) qu’à partir de la réforme ce sera beaucoup mieux puisque les avocats cotiseront deux fois plus pour toucher deux fois moins !

Il faut quand même un certain aplomb pour oser pareille affirmation et on aurait voulu ouvertement se moquer du monde qu’on n’aurait pas pu s’y prendre autrement !

En fait, le gouvernement s’est enferré tout seul dans une idéologie égalitaire et redistributive dont il n’arrive pas à sortir ; à savoir le maintien à toute force de la retraite par répartition dont on sait pourtant qu’elle n’est pas en mesure d’affronter le choc démographique du vieillissement de la population et de la diminution constante du nombre d’actifs !

Car, il ne faut pas oublier que la répartition est un système de spoliation légalisé visant à faire payer les retraites par les actifs en tenant compte d’un schéma démographique et économique fixé à un « instant T » mais en oubliant que ce schéma évolue en permanence ; ce qui explique d’ailleurs les replâtrages successifs, mais jamais suffisants, faits par la technocratie avec les réformes Juppé et Fillon notamment !

Nous nous situons clairement dans le cadre d’un schéma de Ponzi et les jeunes générations sont parfaitement conscientes qu’elles paient actuellement des cotisations de retraite pour des droits qui seront totalement inexistants dans trente ou quarante ans !

Seulement, personne en France ne veut entendre cette vérité et surtout pas les salariés du secteur public et le pouvoir, en essayant de colmater des brèches béantes, sacrifie seulement l’avenir pour pouvoir sauver le présent et surtout sa propre situation personnelle !

Car le but non avoué est de sauver les régimes de retraites du public payées par le privé puisque ce sont les caisses du public qui sont déficitaires !

En outre, l’opacité technocratique est renforcée par le fait qu’il s’agit, pour l’essentiel, d’une loi-cadre prévoyant l’habilitation du gouvernement à « légiférer » par ordonnances.

Le gouvernement légifère  et le parlement n’a plus rien à dire !

Nous nous situons manifestement dans la confusion des genres et des pouvoirs dans le cadre de la technocratie la plus aboutie avec une neutralisation complète du parlement, devenu la cinquième roue du carrosse républicain !

Certains, conformément aux expressions désormais utilisées de manière complaisante, parleront de viol démocratique !

A partir de là, il y a deux hypothèses :

Soit le gouvernement veut pouvoir faire preuve de souplesse et adapter son régime universel en fonction des difficultés et des exigences financières et démographiques qui ne manqueront pas d’évoluer dans les prochaines années et ultérieurement (le gouvernement a prévu une entrée en application de la loi sur un très longue durée avec l’extinction en 2060 des régimes spéciaux du fait du départ en retraite de leur bénéficiaires) ! Or, on le sait, la souplesse est une notion totalement étrangère à l’administration …

Soit, et je penche pour cette solution, le gouvernement ne sait pas ce qu’il va faire et compte improviser en fonction des difficultés qui vont probablement être immenses ! Nous serons dans le replâtrage permanent !

Comment en est-on arrivé là ?

Malgré plusieurs révolutions (1789, 1830, 1848), le France est un pays qui a une conception monarchique du pouvoir avec ses élites (ENA) qui ont, par ailleurs, une vision autoritaire et hiérarchique de la démocratie représentative.

Les politiciens français, qui sont souvent issus de l’ENA, sont des étatistes forcenés qui ne voient l’avenir de la France qu’à travers l’action de l’Etat, avec ce fameux « service public à la française » qui serait une exception, tout comme l’exception culturelle, mais qui n’est qu’une manière de protéger les rentes de situation !

En fait, la France de l’ancien régime n’a pas disparu en 1789, elle a muté, et une élite en a remplacé une autre … mais les pratiques restent les mêmes !

De ce fait, E Macron a, comme l’ensemble de l’élite française, une conception verticale et hiérarchique de la démocratie avec à sa tête cette élite éclairée, arrogante, choyée, fidèle et engraissée par nos impôts, seule apte à comprendre les problèmes complexes de nos sociétés modernes.

Cela signifie que, pour le macronisme, la démocratie est acceptable, mais qu’il ne faut pas exagérer …ce que j’avais expliqué dans cet article.

Quoiqu’il arrive, rien que le pouvoir !

En outre, le discours de cette élite est empreint d’une certaine dose de cynisme manichéiste dont le but est évidemment de permettre de se maintenir au pouvoir, coûte que coûte et quoiqu’il arrive, car, elle seule, tel le phare d’Alexandrie, est en mesure d’éclairer le monde !

On en arrive à une situation absurde :

Lorsque le vote du peuple lui est favorable, l’élite estime que la démocratie a bien été respectée même si l’électorat qui lui a été acquis ne représente que de 23% des voix au premier tour de l’élection présidentielle ; le scrutin à deux tours amplifiant artificiellement la victoire du camp vainqueur.

Mais lorsque le vote lui est défavorable (ou en cas de contestation populaire de type gilets jaunes), elle clame que nous avons affaire à des dérives populistes inacceptables et n’hésite pas alors à utiliser la répression policière pour calmer cette vile populace abrutie qui ne comprend rien !

L’élite est donc tout à fait pour la démocratie mais seulement dans la mesure où elle lui reste toujours favorable !

On a reproché à E Macron d’agir comme un dictateur … et c’est vrai que les français n’ont pas manqué d’observer que le président agissait avec une bonne dose d’autoritarisme et qu’il ne supportait pas la contradiction surtout … populaire !

En fait, c’est surtout la marque d’une dérive profonde du pouvoir technocratique avec l’aggravation de la césure entre une élite et la population jusqu’au rejet de l’une par l’autre !

Car rien ne dit que la population va toujours l’accepter …

Bien cordialement à tous !

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

Une réflexion sur « La démocratie verticale »

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