Le paradoxe d’une vision bien française du monde

Au-delà des gesticulations politiciennes, quelles seront les marges de manœuvres pour le nouveau gouvernement issu des élections ?

Nous avons vu dans mon article sur la dette (ici) que le problème récurrent qui reviendra de manière lancinante dans les prochains mois, bien que non évoqué pendant la campagne électorale, sera celui de la résolution des dettes publiques. Et le constat qui s’impose est que cette situation ne fait qu’empirer puisque la France enregistre, avec la Grèce, les plus mauvais scores de l’UE ; alors qu’on y assiste à un retour modéré de la croissance.

La seule issue de sortie apparaît, de manière inquiétante, n’être que le krach final !

Pour sortir de ce schéma, l’idéal serait évidemment de bénéficier d’une période de forte croissance mondiale qui permettrait de relancer l’activité économique par le biais des exportations, de faire diminuer le chômage et d’augmenter les rentrées fiscales ; la dette se trouvant apurée naturellement et progressivement … sur une longue période car cette option nécessite du temps, beaucoup de temps. Le président Hollande a d’ailleurs attendu et espéré le retour de cette croissance en application de cycles économiques … mais cela ne s’est pas produit !

Dès lors, faute d’une forte croissance mondiale, et alors que la France s’embourbe, avec ses déficits et un chômage de masse, dans un modèle qui ne fonctionne pas, peut-on dès lors considérer que la libéralisation de l’économie puisse constituer une option de gouvernement ?

Le but de cette démarche serait de permettre aux entreprises, qui sont les seules créatrices de richesse, de se développer et, par voie de conséquence, de faire progresser l’activité économique avec, à terme, la perspective de diminuer le chômage et d’augmenter par voie de conséquence les rentrées fiscales et les cotisations tout en permettant d’économiser sur de nombreux postes (indemnisations des chômeurs, rééquilibrage des régimes de retraite).

Cela peut s’accompagner d’une part de privatisations qui permettront d’assurer des rentrées financières et de désendetter l’Etat et d’autre part d’une réduction de la dépense publique afin de réduire la pression fiscale et les prélèvements obligatoires.

Et, en matière de prélèvements, nous avons de la marge puisque nous nous situons à 10 points au dessus de la moyenne européenne !

Ce serait  la solution la moins coûteuse socialement et humainement puisque son but est de développer l’économie et d’atteindre le plein emploi.

Seulement, ce n’est pas la voie la plus facile car cette libéralisation va heurter de plein fouet la structure du système français !

Première difficulté : Les « trente glorieuses », c’est à dire les années de forte croissance, se sont arrêtées en 1980 et, hormis quelques épisodes encore favorables mais malheureusement de plus en plus rares, depuis une bonne dizaine d’années, la croissance économique annuelle de la France est nulle ou à peu près alors que l’électorat devient de plus en plus impatient et versatile !

Le temps politique s’est réduit de façon dramatique et tout pouvoir nouvellement élu doit faire la preuve de son efficacité dans les 6 mois sinon il est irrémédiablement rejeté par les français ; étant entendu que l’efficacité doit seulement se produire dans le sens d’une amélioration rapide et sensible de la situation des électeurs !

D’où des promesses électorales de changement et de vie meilleure aussi nombreuses qu’intenables ! (Le revenu universel de M Hamon en est un excellent exemple).

Or, comme le Pouvoir se trouve très vite confronté à une réalité bien souvent très éloignée des promesses électorales, cette amélioration ne se produit pas ; notamment parce qu’il ne peut pas y avoir de miracle !

Se met alors en place un rejet des politiciens au pouvoir au nom d’une doctrine appelée le « dégagisme » c’est à dire un « vote contre » qui a marqué le paysage politique français de manière flagrante au cours des deux derniers quinquennats.

Or, l’adoption de mesures de libéralisation de l’économie aura d’abord un effet récessif car il faut toujours un temps de réaction entre le moment où l’on décide d’une mesure et le moment où l’on constate un effet; et il faut que les mesures initiales puissent générer un niveau de croissance d’au moins 2% par an pour pouvoir espérer inverser la courbe du chômage et faire repartir une économie basée sur la production et non sur la dépense publique.

Seulement, le temps politique est incompatible avec cette démarche à moyen et long terme car le pouvoir va devenir extrêmement impopulaire ; avec la menace de grèves massives qui vont entamer sa crédibilité politique.

Deuxième difficulté : la France évolue dans un système très étatisé avec un grand nombre de fonctionnaires (5.5 millions – soit 2 millions de plus qu’en Allemagne !?!).

Or, décider de libéraliser l’économie c’est nécessairement aller contre une organisation étatique représentant un véritable pouvoir ; alors que la tendance naturelle de toute organisation est d’étendre toujours plus son emprise pour arriver jusqu’à l’hégémonie.

Or, quand une organisation comme l’administration a atteint le seuil de l’hégémonie qui est le sien, elle exerce inévitablement une pression sur la société afin de canaliser celle-ci à son profit !

Cette tradition administrative remonte à Colbert et donc à Louis XIV, à l’époque du début du capitalisme qui commençait à se développer en Angleterre et aux Pays Bas sous l’influence d’une philosophie libérale basée sur la libre entreprise et la religion protestante.

Déjà à cette époque, la France s’opposait à cette vision du monde en organisant l’économie de manière autoritaire par le biais des ateliers et manufactures d’Etat c’est à dire déjà avec un capitalisme d’Etat sans capital, fondé sur l’impôt, mais aussi la suppression de la liberté religieuse avec la révocation en 1685 de l’Edit de Nantes et l’exil de 200.000 huguenots !

On s’est aperçu, bien plus tard, que cette révocation a constitué l’une des pires erreurs politiques de l’histoire de France car elle a provoqué l’exil religieux mais surtout économique d’une partie de la population qui était déjà à l’époque l’une des plus dynamiques ; ces populations s’étant réfugiées notamment aux Pays Bas et en Angleterre. Il en est résulté une société française figée, avec ses privilégiés, jusqu’à … la révolution de 1789 !

Cette erreur s’est reproduite en 1793 avec le trop fameux épisode de la Terreur !

Et aujourd’hui nous sommes prêts à renouveler cet « exploit » puisque la France est devenue le plus gros exportateur mondial de contribuables riches ou simplement aisés en raison de la volonté exprimée par les politiciens, au nom d’un égalistarisme ridicule et démagogique, de la promesse de faire rendre gorge à ces riches qui ont « volé les pauvres » selon une vision simpliste et réductrice du monde mais qui apparemment recueille quand même l’assentiment de plus de 50% de l’électorat français !

Par corporatisme ou clientélisme, trop de personnes dépendent en France de l’Etat ; soit qu’elles en vivent confortablement parce qu’elles sont fonctionnaires ou travaillent dans des entreprises d’Etat soit qu’elles survivent grâce à des distributions d’allocations qui les entretiennent dans un assistanat qui leur apparaît finalement supportable et dont elles ne voudront pas se défaire !

Et, en France, la doctrine est qu’on ne revient pas sur les droits acquis … même s’ils sont abusifs et s’ils ruinent le pays ; ce qui fait que l’on en arrive au paradoxe français : les français veulent que tout change tout en ne changeant rien ; surtout en ce qui concerne leurs petits avantages et leurs petites habitudes !

Autrement dit, les français croient toujours au Père Noël soviétique c’est à dire à celui qui leur promet qu’il va leur redistribuer le trop plein de l’argent gratuit des autres et l’épilogue temporaire des manifestations en Guyane tend à confirmer a posteriori cette vision du monde puisque, après qu’on nous ait expliqué qu’il n’y avait pas d’argent, les représentants de l’Etat ont finalement capitulé et accepté de fournir 3 mds € de subventions pour 250.000 hts (soit quand même la bagatelle de 12.000 € par personne). Argent qu’il faudra, si l’Etat tient ses engagements, emprunter sur les marchés car, effectivement, il n’y a pas d’argent dans les caisses !

Mais il fallait débloquer la zone de Kourou de toute urgence car le préjudice économique et commercial commençait à devenir dangereux !

Cette attitude du pouvoir apparaît en fin de compte complètement schizophrénique et tend à conforter, dans une partie notable de l’opinion publique, l’idée erronée que le politique et l’Etat détiennent la solution à toute chose !

Selon cette vision, l’Etat est là, non pour remplir des missions régaliennes, mais pour pourvoir aux moindres besoins de la population !

L’Etat n’apparaît finalement plus que comme une coopérative gérée au bénéfice de ses membres et seulement au bénéfice de ses membres ; sans que ceux-ci ne se posent la question de la provenance de ce qu’ils perçoivent au nom du principe désormais établi que l’Etat paiera ou que ça ne coûte rien puisque c’est l’Etat qui paie !

Cela explique que l’idéologie majoritaire en France est empreinte d’un collectivisme qui perçoit toute tentative de libéralisation comme une menace susceptible de remettre en cause ce système.

Car, la libéralisation de l’économie et la réduction de la dépense publique passe nécessairement par la réduction du nombre de fonctionnaires, de certaines allocations, de subventions diverses et d’un tas de petits avantages au milieu d’une foule de corporatismes.

Il faudrait donc que les français soient eux-mêmes convaincus que l’organisation économique et sociale française pourra fonctionner avec la même efficacité tout en ayant moins de fonctionnaires et … ce n’est pas du tout évident surtout que cela va contre la version officielle selon laquelle notre administration est un modèle proche de l’idéal, que le monde entier nous envierait !

Et cela ne tient pas compte du discours des politiques qui présentent l’Etat et son organisation comme un élément protecteur des français … ce qu’il n’est absolument pas car l’Etat est seulement un prédateur qui agit sous couvert de dispositions légales et prend à Paul pour donner à Jacques !

Conséquences de ces constats : alors que le temps politique est de plus en plus court, le politicien, qui voudrait engager de vraies réformes, va nécessairement se heurter au mécontentement des catégories socioprofessionnelles qui estiment qu’elles seront lésées par ces réformes, puis à des grèves, à des mouvements violents et enfin au mur des élections !

Evidemment, toute tentative de réforme devient politiquement très difficile car la population, si désireuse de changement, apparaît finalement très conservatrice et rétive à tout changement qui se fera, pense-t-elle, à son détriment ; confortée par des politiciens souvent issus eux-mêmes de la fonction publique et de son mode de pensée !

La situation peut très vite dégénérer en blocage complet du pays avec tous les effets négatifs en découlant (notamment en terme d’image). On se souvient que l’image de M Juppé reste associée aux grandes grèves de 1995 (à propos des retraites).

Troisième difficulté : En France il règne une instabilité législative, administrative et fiscale qui fait qu’un mécanisme mis en place un jour peut être révoqué le lendemain ! Or, du fait de la dérive des comptes publics, il est évident que cette pratique ne peut que connaître un développement qui se fera nécessairement à notre détriment car … un Etat dans l’urgence de la nécessité peut faire n’importe quoi !

Cette instabilité est liée pour l’essentiel à l’immixtion permanente des services de l’Etat dans tous les secteurs de l’économie, non pas pour assurer la sécurité juridique de l’activité économique mais pour l’influencer, la modifier, la régenter au nom de principes soi-disant de protection mais en fait de contrôle en fonction de considérations politiques !

Or, on ne gère pas une entreprise en fonction de critères politiques !

Seulement, cette instabilité ne peut être que de nature à brimer l’activité des entreprises ; lesquelles vont évidemment se montrer à la fois prudentes et hésitantes. Pour créer des emplois, les entreprises ont besoin de la stabilité qui leur permettra de calculer leurs plans d’investissements et de recrutement en fonction de prévisions réalistes qui n’ont rien à voir avec des considérations politiciennes. Investir et embaucher, c’est avant tout un acte de confiance en l’avenir et une prise de risque.

Or, les politiques français, qui s’apparentent de plus en plus à une caste, sont le plus souvent des fonctionnaires ou des syndicalistes et n’ont en général absolument aucune expérience de l’entreprise.

 Ils ne raisonnent qu’en termes de contraintes administratives.

Lorsqu’un problème se pose, on créé une nouvelle réglementation, une dépense en plus associée à un nouvel impôt et, avec la meilleure volonté du monde, on finit par aboutir à un véritable carcan administratif tout à fait contre productif !

L’effet pervers de cette démarche est que lorsque le politique s’aperçoit que ça ne fonctionne pas, il édicte de nouvelles lois et des règlements ; ce qui ne fait qu’aggraver la situation et explique que les entrepreneurs n’embauchent pas par peur du code du travail et de ses 3.500 pages.

En outre, sans connaissance du marché et de l’économie, déconnectés des réalités, bénéficiant des largesses de l’Etat, les politiques n’agissent la plupart du temps qu’en fonction d’un seul critère : la légitimité électorale !

Évidemment, cette incompétence est la porte ouverte à toutes les dérives surtout qu’en général, du fait de cette légitimité électorale (souvent bien fragile), ils ne peuvent admettre avoir commis une erreur d’appréciation ou une faute et, dans ce cas, préfèrent désigner un bouc émissaire ; quitte à remettre une couche supplémentaire de règlementation !

Il faut avoir vécu plusieurs années à l’étranger dans des systèmes plus libéraux pour se rendre compte de la pesanteur du carcan législatif et règlementaire français ; seulement les français, largement conditionnés … n’en ont en fin de compte pas conscience !

Enfin, aucun des candidats ne tient un discours libéral, même si certains parlent abusivement d’ultra libéralisme à propos de MM Macron et Fillon à seule fin de les désigner comme ennemis de classe ; et près de la moitié des électeurs est prête à se jeter dans les bras d’ultra dirigistes tels que Mme le Pen et M Mélenchon (sans compter les autres petits candidats dont fait désormais partie M Hamon) !

Ce qui a fait la force, ou la faiblesse, des civilisations au cours de l’histoire a été leur adaptabilité ; cette adaptabilité conditionnant leur survie ! La chute de l’empire romain tout comme celle de l’empire soviétique en sont d’excellents exemples !

Car, le monde et les choses changent, et celui qui ne s’adapte pas finit par disparaître et les britanniques ont compris, de manière pragmatique, qu’une entreprise privée est par nature bien plus adaptable qu’un monstre administratif car c’est pour l’entreprise, c’est sa survie qui est en jeu alors qu’un état peut user de mesures coercitives pour se maintenir !

Soyons lucides, la libéralisation de l’économie a très peu de probabilités de se réaliser dans un pays comme la France ; pays collectiviste où quasiment 58% du PIB relève du secteur public et où « capitalisme » est considéré comme un gros mot, « profit » comme une provocation, « entreprise privée » comme une insulte et où on vous explique que le déficit budgétaire résulte non d’une mauvaise gestion par les politiques des deniers publics mais de la seule fraude fiscale (on nous donne même un chiffre invérifiable : 80 mds €) !

Alors, oui, le libéralisme est une option mais, rassurez-vous, cette option ne sera ni examinée ni même envisagée car les français ne sont pas prêts pour de telles « extrémités » !

Nous continuerons donc dans le changement immobile !

Evidemment, il faudra un jour en payer le prix mais cela, c’est une autre question !

Bien cordialement.

 

 

Ps : ce billet étant posté avant les résultats du 1er tour, il fait nécessairement l’impasse sur une possible finale le Pen – Mélenchon

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

5 réflexions sur « Le paradoxe d’une vision bien française du monde »

  1. Belle démonstration, et évidente conclusion : quand il faudra en payer le prix, tout s’effondrera ; en serons-nous, ou bien nos enfants, ou encore les leurs ?

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