C’est un hold up ! (Les gagnants et les perdants d’un système truqué).

On parle beaucoup de la réforme des retraites et il faut bien dire qu’il s’agit là d’un véritable serpent de mer qui refait surface tous les 5 ans depuis plus de 30 ans !

En 1991, Michel Rocard, alors premier ministre, avait déjà préféré refermer le dossier sans y toucher en affirmant qu’il y avait là « de quoi faire sauter plusieurs gouvernements ». C’était avouer le côté sensible d’une telle réforme. Il n’avait alors trouvé comme solution que d’instaurer la fameuse CSG dont le taux fixé à 1.1% culmine désormais à 17.2% ! On a rarement vu pareille progression pour un impôt ; ce qui en dit long sur l’ampleur du problème !

E Macron nous a annoncé, sous prétexte de justice sociale, une refonte des 42 régimes de telle façon qu’il ne subsistera plus qu’un régime universel de retraite.

On certes peut envisager une telle réforme … à condition que les règles applicables, après la réforme, soient les mêmes pour tous.

Or, ce ne sera pas le cas !

Pourquoi ? Parce qu’en politique les buts réellement poursuivis ne sont pas toujours ceux annoncés !

Les buts réels de cette réforme

Le but de cette réforme est d’une part de permettre à l’Etat et à son administration de la main sur tous les régimes afin de mieux pouvoir les contrôler et d’autre part de pouvoir procéder à un regroupement des différents régimes dans le but de siphonner des régimes excédentaires au profit des régimes déficitaires.

Comme par hasard, ces régimes déficitaires concernent essentiellement les régimes dits spéciaux recouvrant EDF (au titre des IEG – industries électriques et gazières), la SNCF et la RATP, qui ne pourraient pas subsister sans de lourdes subventions mais aussi du régime des fonctionnaires.

Autrement dit, le but de la manœuvre est que les régimes du secteur privé, assez bien gérés, paient pour ceux, mal gérés, du secteur public !

Evidemment, quand on sait que depuis 40 ans, malgré tous ses moyens et malgré tous ses fonctionnaires et malgré une progression constante des impôts et des prélèvements, l’Etat n’a jamais réussi à équilibrer ses comptes, le doute est permis quant au sort qui sera fait à ce futur mastodonte des retraites !

Un petit inventaire des inégalités

En outre, alors que ces régimes sont structurellement déficitaires, leurs adhérents cotisent moins que le privé tout en percevant une retraite plus importante ! Et cette inégalité est aggravée par le fait qu’elle porte aussi sur l’age de départ en retraite !

En fait, contrairement à ce qu’on nous a affirmé dans le passé, les régimes spéciaux n’ont pas été réellement réformés (sous la présidence Sarkozy) et les agents ont reçu de nombreuses compensations pour faire passer les faibles modifications apportées en 2008 à ces régimes.

Pour EDF, son régime de retraite est adossé aux caisses du privé tout en étant directement alimenté par le consommateur par le biais de la CTA ; car une partie des subventions sont dissimulées dans votre facture d’électricité sous la rubrique « contribution tarifaire d’acheminement » ; laquelle représente pas moins de 25% des pensions versées aux agents.

Pour la RATP et la SNCF, les déficits des caisses de retraites sont comblés à hauteur respectivement de 709 Millions € (soit 59% des besoins de financement) et de 3.3 Milliards € par an directement par le budget de l’Etat ; ce qui représente une subvention de 14 551 € par retraité de la RATP et de 12 856 € par retraité de la SNCF.

L’ensemble des subventions s’élève à 5.5 Milliards € pour tous les régimes spéciaux qui couvrent aussi le personnel de la Comédie Française, l’Opéra de Paris, les mines  …

L’âge de départ à la retraite n’a été en général augmenté que de 6 mois (en 11 ans) et reste très inférieur à l’age légal du privé (62 ans avec une incitation à ne partir qu’à 63). Il s’établit à 57 ans pour la SNCF et 56 ans pour la RATP et EDF.

Par contre, les pensions ont augmenté d’environ 10 % à la RATP et 5 % à la SNCF comme pour les fonctionnaires civils de l’État, alors qu’elle a plutôt stagné dans les collectivités territoriales et hospitalières.

En ce qui concerne les fonctionnaires, c’est encore plus simple : ils n’ont pas de caisse de retraite. Leurs pensions sont prélevées directement sur le budget de l’Etat c’est à dire sur vos impôts !

En ce qui concerne la retraite, 30,5 % des nouveaux retraités de l’année de la fonction publique civile de l’État et 37,8 % de ceux de la CNRACL (fonction publique territoriale) partent à 60 ans ou avant, contre seulement 21 % dans le régime général.

Dans la fonction publique, la pension est calculée à partir du traitement indiciaire moyen des 6 derniers mois, hors primes. Le taux de liquidation est de 75%.

Dans le privé, le calcul est fait sur la moyenne des 25 meilleures années de la carrière, dans la limite du plafond annuel de la sécurité sociale, pour la retraite de base (CNAV). Les salaires sont revalorisés au moment du départ en retraite par des coefficients établis par la Sécurité sociale. Le taux de liquidation est de 50%. Les retraites complémentaires dépendent des cotisations versées sur toute la carrière.

La réversion au conjoint survivant est accordée sans condition d’âge dans la fonction publique mais sous condition dans le privé (55 ans à la CNAV, 55 à l’ARRCO, 60  à l’AGIRC). Le taux de réversion est de 54% dans le privé (CNAV), 50% dans le public et 60% dans les complémentaires. Il est sans condition de ressources dans la fonction publique et dans les complémentaires mais sous condition à la CNAV (1676€/mois)

La pension brute moyenne est de 3 700 €/mois à la RATP et le fonctionnaire d’Etat touche une retraite moyenne de 2 572 €/mois alors que la moyenne n’est que de 1784 €/mois pour les salariés du régime général. (un différentiel de 788 € soit 44 % de plus !).

Quant on voit le différentiel au niveau du montant des pensions versées, ainsi que l’age réel de départ en retraite, on n’imagine pas un seul instant que cette réforme va à la fois réduire les pensions de 2.000 €/mois pour les retraités de la RATP et de 788 €/mois pour les fonctionnaires et repousser l’age effectif de la retraite de 6 années ; surtout lorsque l’on connaît le courage désormais proverbial de nos politiciens fonctionnaires dont le principal souci est de ne prendre aucune responsabilité susceptible de nuire à leur précieuse carrière.

Par contre, la réforme entraînerait par exemple pour les avocats alors que leur régime est excédentaire et que la CNBF (caisse nationale des barreaux français dont la création remonte à 1938) dispose de réserves à hauteur de 2 milliards €, un doublement des cotisations (de 14 à 28 %) et une division par deux des prestations qui, statutairement, ne sont versées qu’à compter de 65 ans !

Avec cette réforme, ce serait donc pour les avocats cotiser plus pour percevoir moins à seule fin d’équilibrer les régimes spéciaux et publics. Plusieurs milliers de cabinets (en exercice individuel) pourraient être mis en grave difficulté voire disparaîtraient.

Mais même si ces chiffres sont contestés, au ministère on reconnaît néanmoins une hausse des cotisations « de l’ordre de 5 à 7 points » même si on affirme, histoire de tranquilliser les intéressés, que « La transition entre le régime existant et l’intégration avec le régime universel sera très longue et pourrait durer 15 ans ».

Conclusion

La conclusion qui s’impose est que les régimes spéciaux seront peu ou pas touchés bien que déficitaires et que les régimes du secteur privé ainsi que ceux des indépendants et libéraux seront siphonnés parce qu’excédentaires par un phénomène de vases communicants auquel personne ne pourra plus s’opposer du fait du regroupement.

De la même façon, l’age de départ en retraite sera toujours à l’avantage des régimes spéciaux et de la fonction publique. Les gagnants seront encore une fois toujours les mêmes. Devinez qui seront les perdants ?

Mais, il faut aussi être lucide. Au-delà de l’argument parfaitement infondé et illégitime de « justice sociale » il s’agit de la dernière réforme avant la faillite générale de tous les régimes basés sur la répartition qui n’ont été viables que tant que le chômage était à peu près inexistant (soit environ la fin des années 70) et que la retraite était fixée à 65 ans.

C’est un défaut récurrent des démocraties modernes que d’abuser l’électeur et le citoyen en leur communiquant des informations fausses ou très partielles et cette prétendue réforme en est l’archétype !

Or, c’est une technique habituelle que de fusionner les bons et les mauvais (on fait d’ailleurs la même chose pour les banques ou pour les caisses de retraite complémentaires ARCCO- IRCANTEC-AGIRC) afin de noyer les dettes dans la masse globale et surtout gagner du temps avant l’échéance fatale !

Par ailleurs, on sait que lorsque l’administration prend le contrôle d’un système, elle le manipule et le stérilise de tout ce qui pourrait porter atteinte à ses propres intérêts !

On va donc créer un monstre administratif à la soviétique mais les illusions d’une réforme équitable des retraites finiront par apparaître eu égard à l’iniquité des mesures proposées.

Quand on parle « d’Etat stratège », il serait plus exact de parler de stratégie de captation des ressources par l’Etat pour masquer ses défaillances et ses échecs !

En fait, c’est à un braquage en règle, mais légalisé, auquel nous sommes en train d’assister !

On n’a pas fini de se poser la question formulée par les Gilets Jaunes « où passe notre pognon ? ».

Bien cordialement à tous.

Απο την Ελλαδα (de la Grèce – Levkada)

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

9 réflexions sur « C’est un hold up ! (Les gagnants et les perdants d’un système truqué). »

    1. Bonne question …
      Compte tenu du maillage administratif existant, il est effectivement très difficile de revenir en arrière.
      Nos politiciens fonctionnaires ont pris le pouvoir et n’ont pas l’intention de le lacher …
      Moyens d’actions : diffuser et faire savoir car l’ignorance est la mère de toutes les dérives que l’on constate (grèves des cheminots et RATPistes soutenues par des français qui ne se rendent même pas compte qu’ils soutiennent les profiteurs d’un système – mais ils ne sont pas les seuls), le bulletin de vote (mais j’y crois peu).
      Après, des mouvements d’opinions peuvent se dégager …
      Mais, je le concède : c’est lent !
      A la fin, certes, il reste le mouvement de la rue comme les gilets jaunes. Le pouvoir a peur de la rue et Macron a cédé en faisant … ce qu’il ne fallait pas faire !

  1. Le régime de retraite des fonctionnaires d’État est pratiquement à l’équilibre. Il y a à peu près autant d’actifs qui cotisent que de retraités. Évidemment l’État finance la différence mais c’est normal. Il faudrait arrêter avec cette haine des fonctionnaires, c’est fatiguant.
    Et cette réforme permettrait d’économiser environ 12 milliards d’euros par an d’après BFMTV… Tous ça pour ça ?! Une goutte d’eau dans le budget d’un État !
    Par contre les 43 milliards d’euros de plus encaissés par les impôts en 2018 sont partis où ?

    1. 26 millions d’actifs
      25 millions de pensionnés
      le régime des fonctionnaires est à l’équilibre …. en nombre !
      seulement, chaque actif ne paie pas la pension complète de chaque pensionné !
      Vous devriez lire le rapport ci-après
      https://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/files/documents/jaunes-2019/Jaune2019_pensions.pdf
      Le cout des retraites pour l’Etat, est de 76 milliards € !
      Je comprends que ce qu’on écrit ne vous plaise pas mais ce n’estpas en niant la vérité qu’on la change !
      Bien cordialement !

  2. Un ajustement, pour compléter vos éléments : les fonctionnaires territoriaux n’ont pas de régimes spéciaux au contraire.
    – les règles de durée et âge de départ à la retraite sont les mêmes que dans le privé (en moyenne ils partent plus tard car n’ont pas le droit au chômage)
    – pas de majoration d’année pour les enfants
    – ils ont un taux de cotisation beaucoup plus élevé que dans le privé (cotisation salariale de 10,83 %contre 6,90 % dans le privé)
    – ce qui explique que le taux de liquidation qui est de 75% au lieu de 50% dans le privé (les cotisations salariales étant 1,5 fois plus élevés et sans compter les patronales 3 fois)
    – leur caisse de retraite (CNRACL) cumule aussi des excédents.
    – leur retraite est calculée sur les 6 derniers mois mais les primes ne comptent pas (soit sur de très faibles salaires).

  3. En virant 1 million de fonctionnaires et assimilés (hors régaliens) nous aurions un commencement d’assainissement permettant d’y voir un peu plus clair !

  4. “Mais, il faut aussi être lucide. Au-delà de l’argument parfaitement infondé et illégitime de « justice sociale » il s’agit de la dernière réforme avant la faillite générale de tous les régimes basés sur la répartition qui n’ont été viables que tant que le chômage était à peu près inexistant (soit environ la fin des années 70) et que la retraite était fixée à 65 ans.”

    Faillite du système par répartition, oui c’est plausible car le système est démographiquement déséquilibré mais avec la capitalisation et les taux d’intérêts négatifs actuels, ce n’est pas mieux malheureusement.

    La solidarité consiste à prendre aux fourmis pour donner aux cigales.

  5. Excellent topo comme d’habitude sous la plume de Dominique PHILOS. sur les retraites et les intentions cachées des réformateurs : trouver de l’argent pour les fonctionnaires avantagés.

    Seulement voilà il faudrait nous donner des conseils ou des directives pour le futur.

    Merci d’avance.

  6. Certains sont privilégiés et les autres sont les “esclaves”. Il n’y a pas entre les salariés d’égalité devant la retraite, les avantages sociaux, les congés, le temps de travail. Il n’y a pas de fraternité chacun défend son intérêt . Il n’y a pas de liberté les GJ le démontrent . Les Politiques depuis 1970 sont responsables de cette médiocratie !
    Si rien n’est fait, la population du secteur privé devra encore apprendre à travailler plus au lieu de vivre pour nourrir cette médiocratie . Moralité la France était coupée en 2 maintenant elle est pliée en 4.

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