Le Deep State ou l’imposture d’un Etat démocratique

Quand on parle avec la population des revendications des gilets jaunes, il apparaît qu’elle en veut à une caste qu’elle qualifie de profiteurs dans laquelle elle place certes certaines grandes fortunes mais surtout les politiciens et les hauts fonctionnaires (qui sont souvent les mêmes) ainsi que les journalistes (surtout de l’audio visuel)  que la proximité avec le pouvoir rend nécessairement suspects.

Ces français expriment le sentiment intuitif qu’il y aurait une connivence entre différentes personnes qu’ils assimilent à des nantis et des profiteurs du système ; c’est à dire des personnes qui bénéficieraient d’avantages dérogatoires considérables par rapport à la moyenne de la population. Et, dans leur esprit, il incombe logiquement d’abord à ces profiteurs du système de faire les efforts que l’on leur demande, à eux, de faire !

Entre ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas, on aurait donc affaire à un système informel, puissant et dissimulé qui nourrit fatalement les thèses complotistes !

Or, il se trouve que cette notion intuitive a été théorisée par le professeur canadien Peter Dale Scott sous l’appellation de Deep State (qu’on peut traduire par Etat profond) et qui reviendrait à un gouvernement de l’ombre.

A quoi correspond le Deep State ?

Selon Scott, il s’agit d’un ou plusieurs groupes de personnes, au sein d’une entité informelle représentant une certaine communauté d’intérêts, qui, à travers un jeu complexe de relations (de lobbying selon l’expression anglo-saxonne), influencent ou tentent d’influencer secrètement le pouvoir décisionnel de l’État, au-delà du pouvoir légal ; c’est à dire d’orienter le pouvoir décisionnaire de l’administration (la bureaucratie) et des politiciens.

Ce ou ces groupes comprennent des représentants ou des membres de différents cercles d’influence, qui peuvent être liés à la finance, l’armée, l’industrie (militaire notamment), les télécoms, la religion, les syndicats ou même à des communautés ethniques.

Cet « État profond » n’est pas une institution ayant pignon sur rue mais ce n’est pas non plus une société secrète ni un ensemble organisé. C’est plutôt un ensemble de cercles de contacts de haut niveau, souvent personnels, entre des gens qui défendent des intérêts divers et dont la plupart se connaît un minimum sans nécessairement avoir les mêmes intérêts et qui cherchent à influencer le pouvoir politique en vue d’en retirer des avantages financiers, sociaux, politiques ou même religieux.

A s’en tenir à une vision complotiste, on pourrait affirmer que c’est la composante la plus restreinte, la plus agissante et la plus secrète de l’establishment, de l’élite ; celle des gens secrets et infiltrés, qui « tirent les ficelles dans l’ombre ».

Seulement, ce n’est pas un concept conspirationniste, même si ses détracteurs le désignent comme tel ; c’est une réalité occultée du fonctionnement général du pouvoir. Les travaux de Scott ont d’ailleurs démontré que les Etats-Unis, parangon des démocraties libérales occidentales, censé garantir les libertés publiques fondamentales et censé être doté de contre-pouvoirs efficaces, d’une presse pluraliste et d’un état de droit authentique, ont été peu à peu minés et dévoyés par l’État profond américain.

Ce système peut même aller bien plus loin que la simple influence et on l’a vu en URSS avec les apparatchiks et le complexe militaro-industriel (ce que Soljenitsyne appelait « le premier cercle » du pouvoir) mais aussi aux USA, pendant la deuxième guerre du golfe, dite guerre d’Irak (2003-2006), à l’occasion de laquelle ont été évoqués les liens étroits et troubles entre l’administration américaine et certaines sociétés spécialisées qu’elles soient pétrolières (Halliburton), ou des sociétés militaires privées (Dyncorp et Blackwater).

Clairement, on peut parler d’Etat informel dans l’Etat officiel dont l’action se situe au delà du discours public officiel. Curieusement, ces notions, qui sont largement développées dans les pays anglo-saxons, sont quasiment inexistantes en France … ce qui ne veut bien sûr pas dire que cela n’existe pas chez nous !

L’Etat profond en France :

On a compris que le Deep state ne recouvre pas une seule catégorie de groupes d’influence mais qu’il est lui-même un assemblage hétérogène de plusieurs cercles d’influence ; lesquels peuvent prendre des formes très diverses, avec toujours le même but : défendre certains intérêts considérés comme importants par ces groupes ou plus vulgairement d’en retirer des avantages matériels.

L’élection de 2017 a démontré qu’une certaine oligarchie, bien avant le scrutin présidentiel, avait fait son choix et avait adoubé E Macron ; l’homme qui ne remettrait pas en cause le système. Ce choix a été entériné par les électeurs à la suite d’une opération évidente de manipulation de l’opinion et de « dézinguage » du seul concurrent sérieux (F Fillon) dans le cadre d’une action coordonnée tout à fait évidente relevant du complot !

Si, aux USA, ces groupes d’influence sont le plus souvent en relation avec les milieux d’affaires, en France, ce Deep State recouvre surtout les rentiers de la République c’est à dire tous ceux qui vivent, à des degrés divers, des largesses de l’Etat.

Le premier de ces cercles d’influence est bien connu : ce sont les anciens élèves de nos grandes écoles, au premier rang desquels il faut ranger l’ENA (mais aussi l’X – Polytechnique) qui fédère des intérêts au-delà des clivages politiques ; cette école de c(r)apacité et du pouvoir, pour des hauts fonctionnaires qui s’auto désignent comme l’élite, qui a fini par totalement prendre le contrôle du pays et dont les membres estiment qu’ils sont les seuls aptes à décider pour le peuple ignare.

En fait, en y regardant de plus près, on s’aperçoit que tout le système est faussé dès le départ et que, notamment, si vous ne naissez pas dans un certain milieu social, vos chances d’arriver en haut sont infimes car le parcours républicain et la promotion sociale pour tous ne sont qu’une fable, un roman pour les naïfs qui ignorent les règles de l’élitisme républicain !

Mais, ces cercles s’agrandissent aussi à bon nombre de profiteurs du système au sein desquels il faut placer les syndicats de la fonction publique, les partis politiques et leurs élus, mais aussi certaines organisations écologistes qui vivent directement au sein de l’Etat ainsi que différents clubs et cercles de réflexion (think tank en anglais), les réseaux francs maçons dont on sait qu’ils sont très répandus en politique avec de possibles croisements et imbrications entre les uns et les autres.

Les effets collatéraux du Deep state

La « France des réseaux ».

Le problème est que cette main mise d’une caste sur tous les rouages du pays a des effets collatéraux qui sont bien connus : pantouflage, conflits d’intérêts en toute impunité, incompétence provoquant des catastrophes industrielles (on ne compte plus tous ces énarques qui ont mis dans l’ornière de grandes entreprises (Crédit Lyonnais, SNCF, AREVA, Air France), allers et retours entre privé et administration, entre postes politiques et administration dans un complet mélange des genres, tout en conservant une progression automatique de carrière dans l’administration avec à la clé une retraite plus que confortable !

Lors des remaniements ministériels ou des alternances électorales, contrairement aux USA où tout le monde retourne dans le privé, ici les gouvernements passent mais l’administration reste et au pire chacun retourne dans son administration d’origine ou alors on recase les partants dans des maroquins républicains du type CESE (anciennement conseil économique et social) , ou par des nominations au tour extérieur à la discrétion du pouvoir, dans le cadre d’un véritable fait du prince, à des postes pour lesquels ils n’ont aucune compétence ; voire même au Conseil Constitutionnel comme on vient de le voir à travers un exercice indécent de chaises musicales et ce même si « l’élu » est un repris de justice.

L’Etat se trouve alors complètement noyauté et son organisation administrative sert à recaser des copains dans le cadre d’un système endogamique à la fois malsain et dispendieux.

Par ailleurs, notre système électoral favorise la main mise par une minorité et son maintien au pouvoir en faisant croire que les élections sont l’expression du peuple et le résultat de la volonté populaire. On peut être président de la République avec 23% des voix exprimées ou député avec moins de 15% du corps électoral.

Par ailleurs, on ne compte plus tous ces textes de lois préparés dans le secret des ministères, par des personnes inconnues, non élues, qui ne rendent aucun compte, et qui sont votés ensuite par des députés sans même avoir été lus ni compris et encore moins discutés !

 Cette élite contrôle aussi indirectement la presse par le biais d’un système élaboré de subventions quand ce n’est pas carrément de la presse d’Etat. La presse audio visuelle française n’a d’équivalent qu’en … Chine communiste ; ce qui n’est pas un hasard !

On sait même que la haute fonction publique, qui se scinde elle-même en promotions, est en mesure d’opposer une résistance non seulement à toute transparence mais aussi à tout changement qui serait de nature à porter atteinte à son statut hégémonique.

Il peut exister différents stades d’évolution d’un tel système, le plus « développé » aboutissant à la main mise d’une caste sur presque tous les domaines de l’économie qui sont plus ou moins sous son contrôle. Toute l’économie du pays se trouve sous le contrôle d’une caste bureaucratique sans laquelle aucune entreprise ne peut fonctionner normalement. Le système bureaucratique devient incontournable et l’administration réglemente les entreprises alors que personne ne réglemente l’administration.

En France, on appelle ça le colbertisme (ce qui en fait remonter l’origine au 17°s) ; ailleurs, on appelle ça le dirigisme technocratique, l’économie planifiée !

L’ordre républicain au service de l’élite

Cette caste se voit évidemment dans le camp du bien ; ce sont les défenseurs de la morale et de l’ordre républicain. Cela lui permet de défendre énergiquement ses privilèges en utilisant les moyens les plus répressifs ; en particulier lorsqu’ils sont contestés par les gilets jaunes : 8400 interpellations, 1796 condamnations, des milliers de blessés dont au moins une centaine de blessés graves, 20 éborgnés du fait de l’utilisation massive (13.000 projectiles tirés) d’armes appelées improprement LBD (lanceurs de balles de défense) alors que ce sont en réalité des LBA (lanceurs de balles d’attaque) dont le  but est clairement de casser les manifs au prix du sang !

 Et ce contrôle de la société augmente sans cesse avec l’enchaînement perpétuel de lois contre les terroristes, les casseurs, les contestataires, les usagers des voitures …

La France est devenue l’un des pires Etats d’Europe en matière de droits de l’homme et de respect de l’individu à tel point que ces violences ont entraîné des réactions inquiètes de l’ONU et du parlement européen.

 Ces dernières ont été balayées d’un revers de main méprisant à la fois par le premier ministre qui a répondu qu’on n’avait pas attendu les protestations étrangères pour faire des enquêtes sur les violences policières (lesquelles curieusement n’ont connu pour l’instant aucune suite) et par le président qui a, pour sa part affirmé, qu’il ne pouvait pas y avoir (forcément) de violences policières dans un Etat de droit (comme la France) ! Qu’aurait-on dit de Poutine s’il avait envoyé ses zomons effectuer semblable répression avec de tels résultats ?

Un pognon de dingues

Autre effet collatéral d’un système qui fonctionne sans aucun contrôle ni contre pouvoir : la dépense publique n’est absolument pas maîtrisée et les gabegies sont légions sans aucun effort de redressement. Il suffit de lire le rapport annuel de la Cour des comptes pour se rendre compte du gaspillage qui règne au sein des élites et des rentiers de la République.

La dégradation continue de la situation française ne peut pas s’expliquer autrement que par la main mise d’une caste sur le pays qui en contrôle tous les rouages et qui bloque toute possibilité de réforme : cette fameuse aristocratie d’Etat identifiée par les français comme des profiteurs et qui ne prend aucun risque, qui bénéficie d’un emploi à vie bien qu’elle ne produise rien, et qui vit très bien aux crochets de la société.

Cette prédation était peu visible lorsque la croissance économique était suffisamment importante pour en masquer les effets délétères ; mais ceux-ci deviennent désormais flagrants dans un pays sans croissance, avec un chômage de masse incompressible, une dette en expansion constante.

Or, le pouvoir d’achat chute ou stagne en France depuis dix ans du fait de l’envolée des prélèvements de toutes sortes et du ralentissement économique parce que la caste bureaucratique n’obéit pas aux impératifs économiques de rentabilité et d’optimisation des ressources puisqu’elle vit de la spoliation fiscale exercée à son profit.

La réalité du pouvoir est désormais exercée par des cyniques qui n’auront aucun scrupule à ruiner les français du moment qu’eux-mêmes s’en tirent bien ! Et le comble est que ces prédateurs se font passer pour les bienfaiteurs de la population qu’ils exploitent. Nous nous situons clairement dans un système immoral qui pratique la prédation par l’impôt au nom d’un prétendu intérêt général !

Le gros problème c’est que nous en sommes arrivés à un stade où rien ne peut plus désormais faire changer le système qui s’auto contrôle ; même un réformateur ne peut plus rien y changer et tout cela ne pourra finir que lorsque ce système se fracassera sur le mur de la réalité !

Bien cordialement à tous !

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A propos Dominique Philos

Navigateur, né en 1958, après un DEA de droit commercial de l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, je suis devenu Conseil Juridique, spécialisé en droit des affaires et fiscalité. L'Etat ayant décidé l'absorption des Conseils juridiques par les avocats, j'ai poursuivi mon activité en tant qu'avocat jusqu'à ce que je sois excédé par les difficultés mises à l'exercice de mon activité professionnelle. J'ai démissionné du Barreau en 1998 et partage désormais ma vie entre la France et la Grèce. Européen convaincu, je suis persuadé que le libéralisme est la seule option possible en matière économique.

7 réflexions sur « Le Deep State ou l’imposture d’un Etat démocratique »

  1. Je viens, avec effroi, de voir des documents ou des suppositions qui expliqueraient l’assassinat de JFK : ce serait des industriels texans ayant infiltré Washington avec Lyndon B. Johnson.
    Dans /www.youtube.com/watch?v=mEH-cySH8U4

    Votre article, cher Dominique, nous laisse insatisfaits, non pas sur ce qui nous arrive, vous êtes tellement clair, mais sur la question de comment de sortir d’un tel chaos ? Lancez-vous dans la prophétie.

    Alexis de Tocqueville avait osé.

    1. Concernant Kennedy : oui cette thèse de la collusion du complexe militaro industriel US avec certains politiciens (Lyndon Johnson) fait partie des thèses en cours.

      A défaut de pouvoir la confirmer ou l’infirmer, elle évoque bien l’influence du Deep state.

      Concernant votre question comment en sortir ?

      Réponse facile … en théorie. Il me semble l’avoir déjà évoqué.
      En pratique, quasiment impossible du fait de la complexité de nos sociétés et de la multitudes d’intérêts en jeu.

      En tout cas, voir mon article de ce jour, E Macron, qui s’est pris pour Dieu sauveur et maitre du monde, ne fait rien pour !

  2. Superbement écrit et malheureusement totalement vrai. La journaliste Sophie Coignard a écrit plusieurs livres instructifs sur le sujet : la nomenklatura française, les bonnes fréquentations, l’oligarchie des incapables, un état dans l’état…

  3. « Rappel = Quand le pillage devient un moyen d’existence pour un groupe d’hommes, qui vit au sein de la société , ce groupe finit par créer pour lui-même tout un système juridique qui autorise le pillage et un code moral qui le glorifie . « Frédéric BASTIAT
    Il y en a qui pensent au changement comme les Gilets jaunes et d’autres qui changent les pansements. Comme le dira le Général De Gaulle – écœuré par le nombre de polytechniciens qui auront collaboré avec les nazis pendant la seconde guerre mondiale et qu’un valeureux d’Estienne d’Orves rachètera de justesse – : ” Le tout n’est pas de sortir de polytechnique , mais de sortir de l’ordinaire !”
    Ils ont l’humour noir A Bercy, l’ENA, Sciences Po et dérivés ils ne savent pas sortir de l’ordinaire, ils apprennent que les finances publiques doivent être malsaines, Le budget doit être non équilibré, la dette publique doit être augmentée, L’arrogance de l’Administration doit être développée et son effectif doit croitre et non contrôlé bien sûr au détriment des services régaliens, l’aide aux pays étrangers doit être augmentée, le mensonge une règle, tout cela afin de mettre en faillite la FRANCE et les Français. La population du secteur privé doit encore apprendre à travailler plus au lieu de vivre .
    Moralité la France était coupée en 2 maintenant elle est pliée en 4.

    ‘La désinformation de Bercy sur les dépenses publiques.’ Ci-dessous une analyse contredisant Bercy que nous a envoyé un des lecteurs internautes, de témoignage fiscal. Qui croire? A vous de faire votre choix de la vérité.
    Les Français seraient victimes d’une vaste désinformation à propos des dépenses publiques qui a été lancée par BERCY , relayée par les médias sans contradictoire .Vous pouvez voir la suite à l’adresse suivante : https://www.temoignagefiscal.com/la-desinformation-de-darmanin-sur-les-depenses-publiques/

    Mais on ne règle pas les problèmes avec ceux qui les ont créés. Ceci donc n’est pas la fin, mais la fin du commencement et pourrait être le commencement de la fin .
    « Il est inutile de compter sur le gouvernement, vous ne devez compter que sur votre propre détermination. Aidez-vous en vous soutenant les uns les autres, fortifiez ceux qui, parmi vous, sont faibles, unissez-vous, organisez-vous et vous gagnerez. »
    Les Gilets Jaunes sont donc le dernier espoir pour sauver la France du déclin. Les débordement sont inévitables.

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